mardi 15 août 2017

La force des choses de Simone de Beauvoir

... il arrive souvent quand une question dangereuse vous brûle les lèvres  qu'on choisisse mal de moment de s'en délivrer: nous sortions de ma chambre pour aller déjeuner chez les Salacrou quand je demandai: "Franchement, à qui tenez-vous le plus, à M. ou à moi?". 

Je n'avais pas relu Simone de Beauvoir depuis mon adolescence. Le deuxième sexe et Mémoires d'une jeune fille rangée m'avaient été recommandés par ma prof de français de première, Mme Auvray, à qui je vouais un véritable culte. Elle nous avait donné une liste d'une cinquantaine de classiques à lire, que j'ai tous lus. Simone de Beauvoir fut l'une des rencontres marquantes de cette liste et ce n'est que lorsqu'une personne recroisée il y a quelques mois m'a posé une question sur les racines de mon féminisme que l'image de Simone de Beauvoir m'est revenue, insistante. Elle n'a pas été importante pour moi seulement pour son Deuxième Sexe et ce catalogue de la condition féminine qu'il représentait. Elle est bien plus que ça. 
La force des choses est le troisième tome de son autobiographie et c'est peu de dire que j'ai pris du plaisir à la retrouver. Ce tome aborde sa quarantaine et commence par la période d'après-guerre, ce qui m'a semblé une suite logique du roman de Gaëlle Nohant, Légende d'un dormeur éveillé que je venais de finir. Simone de Beauvoir y mentionne d'ailleurs Robert Desnos. Elle aborde les choix politiques des intellectuels de gauche, leurs différentes approches du communisme, la manière dont Sartre et elle dérivent loin de Camus. Mais on retrouve aussi une femme qui s'amuse de gagner à une murder party (qui m'a semblé être l'ancêtre du Cluedo grandeur nature). J'ai à nouveau tenté de comprendre la teneur de sa relation avec Sartre, qu'elle a fini par me rendre sympathique et pourtant, ça me semblait perdu d'avance:
Nombreux sont les couples qui concluent le même pacte, à peu près, que Sartre et moi: maintenir à travers les écarts, une "certaine fidélité". 
Elle ne parle jamais d'amour physique entre eux, mais elle peut se montrer légèrement jalouse de la place que prend une rivale dans le cœur de Sartre (et non dans son lit) , ce qui la rend infiniment humaine.  C'est ce que j'ai préféré dans ce livre, découvrir combien Simone de Beauvoir était comme nous, avec ses doutes par exemple sur les concessions que son argent lui permettaient de faire par rapport à ses valeurs, son refus d'acheter des toilettes luxueuses mais son besoin de dépenser son argent en voyages. Elle doute aussi quand l'un de ses amours la quitte (et souffre) alors qu'elle a la quarantaine passée et pense tirer un trait sur le plaisir charnel. La femme qui réapparaît ensuite, amoureuse de Claude Lanzmann, de dix-sept ans son cadet, m'a touchée. Si Simone de Beauvoir vécut trente ans avec Sartre, sept de ces trente années furent partagées avec Lanzmann. D'ailleurs, je trouve qu'elle parle très bien, même si c'est avec pudeur, d'amour.
J'ai aussi beaucoup aimé lire ce qu'elle dit de la littérature et du pouvoir des mots. Comme Simone Veil, dont l'autobiographie m'avait profondément agacée, elle pensait que ceux qui avaient menti sur les horreurs de la guerre devaient être traduits en justice. On découvre une Simone baroudeuse à qui on pourrait appliquer le célèbre "En voiture Simone!" tellement elle prend du plaisir à conduire pour se rendre dans des pays étrangers, alors qu'elle m'a surtout paru être un danger public. Mais elle s'amuse. Non conformiste et non exempte de contradictions, elle accepte le Goncourt pour Les Mandarins mais refuse de se plier au jeu médiatique. Je m'arrête là car je pourrais encore écrire longtemps sur ce livre que je ne peux que vous recommander. En plus, comme c'est un vrai pavé écrit tout petit, on a plaisir à le retrouver pendant un bon moment.

Publié en 1963 chez Gallimard. 686 pages. C'est ma première participation au challenge des pavés de l'été (si tout va bien, je devrais venir à bout d'un autre Gallimard qui paraîtra bientôt).

                                                               

Merci à Mme Auvray donc. 
A conseiller à tous ceux qui pensent que Simone de Beauvoir est ennuyeuse. Et surtout, sans doute, à ceux qui savent qu'elle ne l'est absolument pas. 

25 commentaires:

  1. Ah mais ça pourrait être ma lecture de 'vacances' (je cherche un truc en poche, bien, et qui tienne la route.)

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    1. Pour avoir testé, Simone tient très bien la route et c'est une grande voyageuse, je te la conseille comme compagne de voyage.

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  2. Je n'ai lu que "Mémoires d'une jeune fille rangée" d'elle, dans ma jeunesse. Je lisais plutôt Benoîte Groult. Simone de Beauvoir m'apparaissait très froide et trop intello. Avec le recul des années, ça pourrait être intéressant de la lire maintenant.

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    1. J'ai beaucoup écouté Benoîte Groult mais je ne l'ai jamais lue. Effectivement, à côté, Simone de Beauvoir peut paraître un peu austère si on s'en tient à son apparence. Benoîte Groult était la joie de vivre. Mais je pense que De Beauvoir est très en phase avec le milieu intellectuel, dont elle parle beaucoup, sans pour autant nous offrir une prose intello (en tout cas dans ses mémoires).

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  3. Ah ben moi je n'ai osé découvrir Beauvoir que cette année avec Mémoires d'une jeune fille rangée, et pfiou, quelle découverte ! Je ne m'attendais pas du tout à ce que ce soit aussi captivant et fluide, j'ai beaucoup aimé sa façon de raconter les choses, ses réflexions, je me suis beaucoup retrouvée en elle, bref, j'avais envie de continuer à la lire mais les plus de 500 pages des 2 tomes suivants m'ont un peu freinée. Et là, tu me donnes envie de m'y plonger direct !!

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    1. Je m'étais beaucoup retrouvée en elle aussi dans Les mémoires d'une jeune fille rangée. Ici, c'est différent, mais j'y ai retrouvé à nouveau un peu de moi.
      Elle fait peur, Simone, à tort!

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  4. Tu m'as donné envie de lire Simone de Beauvoir !! Merci pour ton billet. ;) Je suis certaine d'aimer.

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    1. J'en suis ravie, Antigone. Je me rends compte que finalement, autour de moi, peu de femmes l'ont lu (j'en parlais encore cet après-midi sur la plage).

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  5. Lu sur la plage en plus, bravo ! Il me semble qu'il faut plutôt de la concentration pour lire Simone.

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    1. En infime partie, il m'a fallu des heures et des heures pour le lire. Je lis à la plage avec la même concentration qu'ailleurs.

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  6. Je n'ai jamais lu Simone de Beauvoir. Tu me donnes très envie ! Décidément ce soir, je suis pleine d'envies de lecture !

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    1. J'adore ça, me découvrir des envies de lecture! Et j'adore donner très envie aussi! ;-)

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  7. redécouverte avec plaisir cette année avec la relecture des Mémoires d'une jeune fille rangée que j'avais lues quand j'étais ado...j'attends d'avoir un peu de temps pour lire la suite!
    ps : l'autobiographie qui t'a agacée c'est celle de Simone Veil, non? (sa presque homonyme est morte un peu jeune pour écrire sur sa vie...)

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  8. Aussi incroyable que cela puisse paraître, je n'ai jamais lu Simone de Beauvoir. Ni l'autobiographie de Simone Veil d'ailleurs,

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    1. Figure-toi que je me rends compte que ce n'est visiblement pas si incroyable que ça. Ce qui est intéressant dans ce livre, c'est aussi ce qu'elle ne raconte, qui en dit long sur l'évolution des mœurs (elle ne mentionne pas du tout ses histoires d'amour féminines).

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  9. je n'ai jamais lu autre chose que des extraits non plus, il faudrait bien y remédier!

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  10. C'est une écrivain que je n'ai encore jamais lue... Je crois qu'elle m'impressionne un peu trop. C'est bizarre. J'ai toujours plus de mal à découvrir des auteurs féminins dont la renommée n'est plus à faire. J'ai mis du temps à lire George Sand par exemple.

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  11. Tu as encore tout le temps! Je n'ai lu Sand qu'arrivée à la quarantaine!

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  12. Bonjour. Pouvez-vous m'aider avec une phrase de La Force des Choses en français. Je suis en Nouvelle-Zélande et je ne peux pas trouvez un exemplar en français et je veux trouver l'original de cette phrase (en anglais), du deuxième tome, cinq paragraphes du fin, la dernière phrase: “But when I look, I see my face as it was, attacked by the pox of time for which there is no cure.” Merci pour votre aide.

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    1. Bonjour Alison,
      Quand vous dites deuxième tome, vous parlez de "La force de l'âge"? J'ai uniquement le premier et le troisième tome (La force des choses) à la maison.

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    2. Chère Valérie. Mes excuses. Mon exemplaire en anglais de La Force des Choses est en deux tomes. Je parle donc du fin de l'ouevre entier (ça va dire, tout au fin du tome La Force des Choses). Merci beaucoup.

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    3. Voici la phrase, Alison:
      Mais moi je vois mon ancienne bête où une vérole s'est mise dont je ne guérirai pas. (j'aime beaucoup la traduction anglaise).
      You're welcome !

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  13. Salut Valérie, Merci beaucoup pour votre aide. Et j'aime les mots en français! Alison.

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