Un chanteur préféré n'est pas forcément le préféré des chanteurs. Peut-être qu'au fond, j'aimais mieux les Clash ou Daho ou Gainsbourg ou Barbara mais Gainsbourg, Daho, les Clash et Barbara étaient inutiles dans l'économie du collège. Personne n'écrivait "Dis quand reviendras-tu?" sur son sac de classe. Un chanteur préféré est une carte d'adhésion à un groupe. [...]Renaud n'est plus à ma taille. Il ne me va plus...
La narratrice de ce roman, c'est un peu moi. Elle est née presque la même année que moi, nos références culturelles se ressemblent. Elle a grandi avec Drucker (Il devait y avoir Michel Drucker puisqu'il y a toujours Michel Drucker, sans que personne ne nous dise à cet instant que Michel Drucker sera comme l'école, le centre commercial, la salle des fêtes: un espace invariant de nos vie, un endroit où échoueront tous les week-ends de nos existences si nous n'y prenons garde), Fantômette, Claude du Club des Cinq. Elle achète ses badges Touche pas à mon pote (j'en avais de toutes les couleurs possibles, ils restent pour moi les emblèmes perdus, comme le seront nos espoirs, de ma génération) et finira par découvrir que SOS Racisme a été inventé par les socialistes pour exciter l'extrême-droite. Elle est issue d'un milieu qui, comme le mien, vote à gauche et où parfois aussi, on quitte la table familiale pour cause d'opinions politiques divergentes mais seulement dans une amplitude qui va de la gauche à l'extrême gauche (Nous rions car nous ne comprenons pas que la politique finit toujours par se glisser partout, même entre les gens qui s'aiment, même dans les moindres cachettes de la vie privée) mais dans un milieu moins popu que le mien, alors elle écoute Barbara quand il me faudra attendre le début de l'âge adulte pour vraiment la découvrir. En cela, elle n'est pas moi. Comme moi, elle a une sœur qu'elle appelle sœurette et leur différence d'âge semble la même que la nôtre mais ma chance est que la comparaison s'arrête là.
Ce roman (mais est-ce vraiment un roman tant il a la beauté de ce qu'on a vécu avec les tripes?) est à la fois celui d'une génération entière, ceux qui ont cru à Mitterrand alors qu'ils n'avaient même pas l'âge de voter (il me faut régulièrement faire les compte pour me persuader qu'il est mathématiquement impossible que j'aie un jour mis un bulletin de vote à son nom dans une urne) et à qui ça fera mal au ventre de devoir imposer une minute de silence en son honneur à une classe après son décès, tellement la déception fut grande. La génération "Devaquet au piquet", celle qui pleure sur le destin de Slimane, issu de la seconde génération et grand frère de Malik Oussekine, et finit avec un chanteur qui embrasse les flics (je n'ai rien contre les policiers en soi, c'est juste un symbole) mais se moque des bobos car, ça ne mange pas de pain. Evidemment, comme Isabelle Monnin parle très bien de cette période, il y a déjà de quoi me conquérir. Mais c'est aussi un roman sur le "nous", celui de deux sœurs, qui va, par la force des choses, devenir un "je". C'est une magnifique déclaration à une sœur qui disparaît mais qui continue de faire partie de la vie, qui ne connaîtra jamais ses neveux alors qu'elle fera partie intégrante de leur univers. C'est un très beau roman sur la perte de l'autre partie du "nous", mais aussi sur le lien entre sœurs qui m'a beaucoup émue. Et puis, il y a ces phrases qui reflètent une réalité qui ne doit pas avoir beaucoup changé:
Tous les adolescents (sauf les parisiens, mais je ne le découvrirai que plus tard) connaissent la géographie du car scolaire: ne s'assied pas au fond n'importe qui. Les cinq ou six places de la dernière rangée sont réservées aux seigneurs de cette petit société, les garçons crâneurs et les filles à la mode. Plus on se rapproche du chauffeur, plus on descend dans la hiérarchie collégienne.
J'ai envie de vous citer dix autres phrases, sur les chemins que l'on prend dans la vie, sur les mots qu'il devient indispensable de poser sur une feuille après les chagrins qui submergent, d'ailleurs je ne résiste pas à celle-ci: les poser sur la page c'est attraper de l'eau avec ses mains, une petite lutte vaine et nécessaire contre l'oubli puisque la mort dure trop longtemps, sur ces chansons qui nous font pleurer.
Je ne sais pas si vous sentez mon émotion, ni à quel point j'ai adoré ce roman. Puisse-t-il vous toucher aussi. Je l'ai bien sûr prêté à ma sœur.
Publié chez JCLattès le 6 septembre 2017. 320 pages.
Merci aux club des explolecteurs de lecteurs.com sans qui je n'aurais pas ouvert ce roman, n'étant pas tombée sous le charme des deux précédents que j'avais lus de l'auteure.
A conseiller plus particulièrement aux quadra + et aux quinqua - , aux parents de filles et à celles qui ont une sœur. Je suis néanmoins persuadée que ce roman ne plaira pas à tout le monde.