mardi 27 février 2018

Une longue impatience de Gaëlle Josse (RL janvier 2018- n°4)

... une voix intérieure qu'elles tentent de tenir à distance, de museler, leur souffle que jamais elles ne cesseront de se tourmenter pour l'enfant un jour sorti de son flanc. 

En lisant vaguement, pour ne pas trop en apprendre, les résumés de ce roman, je m'en étais fait une idée toute fausse. Certes, c'est l'histoire d'une femme qui pleure la disparition de son fils, mais pas sa mort. Un beau jour, frappé par le mari de sa mère, il est parti sans laisser de mot. C'est donc un roman de l'attente, comme l'évoque si bien le titre, mais c'est surtout pour moi le récit d'un double amour, l'amour d'une femme pour un enfant qu'elle n'a pas su garder près d'elle et celui d'un homme pour une femme, un amour qui date de l'enfance, mais qui ne s'étend pas au premier enfant de cette femme. 
De Gaëlle Josse, j'ai beaucoup aimé Nos vies désaccordées mais pas Le dernier gardien d'Ellis Island. J'aime sa plume, aucun doute là-dessus mais parfois, elle ne me suffit pas. J'associe ses textes à de l'épure et à de la délicatesse, que j'ai retrouvés ici. Je vais situer ce roman entre les deux précédemment cités sur l'échelle de mes goûts. Il m'a fallu arriver à la moitié du roman pour commencer à l'aimer. Pendant les cent premières pages, je me suis dit que non, ça ne le faisait pas, que je n'entrais pas dans ce récit. Je n'aimais pas les lettres écrites au fils et je m'ennuyais. Et ce sont les hommes qui m'ont gagnée à leur cause, comme cela avait été le cas avec Nos vies désaccordés. Etienne, ce mari qui n'a pas été à la hauteur de l'amour qu 'il porte depuis toujours à Anne, mais qui pourtant, l'a attendue avec une patience infinie, est un beau personnage d'homme, complexe comme je les aime. Et Louis, ce garçon qui part, qui n'est que peu présent mais qui traverse ce roman de part en part, a pris le relais. La scène finale m'a tout à fait cueillie, la gorge serrée et je me suis dis que, finalement, ce sont ces deux hommes-là m'avaient fait aimer ce roman. J'aime refermer un roman avec une image forte. Ici, impossible qu'il en soit autrement. Et il y a cette idée, lancinante, que nous sommes finalement toujours seuls:
Je ne sais s'il pense à mes absences, à mes secrets qu'il respecte sans trop les deviner. A cette grotte où nous vivons seuls, où personne ne peut entrer, à cette part obscure et inavouable que nous portons en nous.
Asphodèle et Eimelle ont beaucoup aimé. 

Publié en janvier 2018 chez Notabilia. La double couverture est superbe. 

Merci à l'auteure (pas pour l'envoi du roman que j'ai acheté). La rencontrer, c'est découvrir une femme profondément gentille et tournée vers les autres. C'est ce qui m'a donné envie d'ouvrir un autre roman d'elle après ma première déception.
A conseiller pour se réconcilier (lentement mais sûrement) avec les hommes. 

dimanche 25 février 2018

Le vent, le cri d'Ennio Morricone

Il y a de très longs mois que je n'avais pas écouté cette musique extraite du Professionnel, parce qu'elle a le don, plus qu'aucune autre (à part les chansons de Barbara, forcément), de faire monter le blues quand ça tangue. Je me rends finalement compte qu'en période de mer calme, j'éprouve un réel plaisir à l'écouter (bon, ça me remue quand-même toujours un peu). Elle reste l'un des plus beaux cadeaux musicaux qu'on m'ait faits. Et vous, quels morceaux vous remuent (un peu trop)?



 Merci à R..

jeudi 22 février 2018

L'été de Trapellune de Ruth Rendell

C'était un phénomène qui, bizarrement, n'était pas mentionné dans les romans: les personnages qui avaient causé la mort de quelqu'un semblaient s'en remettre immédiatement, sans subir la moindre transformation. Leur seule crainte était d'être découverts. 

Ils étaient cinq, trois hommes et deux femmes à passer cet été à Trapellune, propriété dont l'un d'eux venait d'hériter.Dix ans plus tard, en voulant enterrer leur chien, les nouveaux propriétaires découvrent le corps d'une femme et d'un bébé. Le passé qui ne fut jamais profondément enterré resurgit. 
J'ai beaucoup lu Ruth Rendell pendant mes études d'anglais, à l'époque où presque la moitié de mes lectures étaient des polars, c'est en tout cas l'impression que j'ai gardée de cette époque. Ce livre est un polar tout ce qu'il y a de classique, si ce n'est que nous connaissons dès le début les meurtriers, sans savoir précisément quel fut le rôle de chacun. C'est sur d'autres éléments qu'il nous surprend. Vous dire que j'ai été passionnée par l'intrigue, dans laquelle il n'y a d'ailleurs, pas réellement d'enquête, ou disons qu'elle se situe très en marge, serait mentir. Pourtant, c'est avec ce roman que Ruth Rendell a reçu le prestigieux Golden Dagger. Je pense que j'ai depuis longtemps passé la période où ce genre de polars m'intéressait. J'ai appris dans ce polar que certaines rues de Londres portent des numéros, comme à New-York (il y a par exemple quatorze Première rue dans la région de Londres). J'ai appris aussi que les stérilets étaient des abortifs et non des contraceptifs si je peux faire confiance à l'auteure (j'ai vu qu'il y avait polémique à ce sujet et n'ai pas eu le courage de lire des articles dont je ne mesurais pas la fiabilité). J'aime le côté vintage de ces romans policiers dans lesquels il faut aller en bibliothèque pour rechercher des infos qui sont désormais à portée de main. Il y a aussi un passage assez drôle sur le lien entre la masturbation et les gencives saines. 

Publié en 1987. C'est sous son pseudonyme Barbara Vine qu'il fut publié en Angleterre.  377 pages en livre de poche. 

A conseiller aux amateurs de polars classiques.
Merci à la cabane à livres de ma piscine. 

mardi 20 février 2018

Hier encore, c'était l'été de Julie de Lestrange

Ils trouvaient les relations amoureuses d'une grande absurdité. Surtout la fin. Du jour au lendemain, il fallait décréter que l'autre n'existait plus. Soit.[...] Aucune autre relation ne souffrait de ce type d'abandon. N'importe où ailleurs, lorsqu'on ne s'entendait plus, on s'éloignait discrètement. 

Ils sont quatre, Alexandre, Marco, Anouk et Sophie. Ils ont partagé des moments de leur enfance parce que leurs grand-parents possédaient des maisons voisines. Il y a eu le flirt à l'adolescence, qui n'a pas empêché l'amitié de revenir. Ils sont maintenant de jeunes adultes et ils se cherchent, autant dans la vie professionnelle qu'amoureuse. Il n'est ni facile de grandir, ni de trouver la personne avec qui on souhaite un bout de chemin un peu plus long que d'habitude. 

Vous trouvez ce résumé bien mièvre. C'est normal, ça reflète le roman. Il y a neuf pages extrêmement réussies dans ce roman, ce sont les neuf premières, j'en ai éclaté de rire et j'ai raconté la scène à ma fille. Après, tout est convenu, mignon. Pour une fois pourtant, on laisse croire qu'être enfant de divorcés est moins pesant qu'être enfants de menteurs et de lâches. 

Publié en mai 2017 au livre de poche et précédemment, aux éditions Mazarine (ceci explique cela, je découvre l'info en rédigeant le billet). 380 p. 

A conseiller à ceux qui aiment les livres légers et convenus. 

dimanche 18 février 2018

Les demoiselles du téléphone (série Netflix)


Nous sommes dans les années 20 à Madrid. Elles sont quatre jeunes femmes et elles se rencontrent le jour du recrutement des nouvelles opératrices téléphoniques. Quatre femmes bien différentes, l'une avec un lourd passé qui ne cesse de la poursuivre, une autre à qui on ne peut que souhaiter un avenir, une qui fuit le poids de son héritage familial pour s'affranchir et s'assumer en tant que femme libre et une autre qui devra fuir son mariage pour survivre. 
Cette série est une série pour femmes, avec tout le côté anti-féministe que cette phrase possède. C'est d'ailleurs une série qui dénonce le machisme sous toutes ses formes, celui du mari et du père. C'est surtout une série qui donne la part belle au romantisme; les hommes ne sont finalement, pas tous à jeter. C'est too much en ce qui concerne les histoires d'amour, tout much dans la brutalité masculine. Le couple phare est trop beau et trop riche, le couple cucul tellement cucul qu'on les adore, le couple de femmes comporte bien sûr une rousse flamboyante (pas forcément belle mais flamboyante). Et pourtant, il y a des surprises: le trouple ne devait pas être très en vigueur en 1929 par exemple. Je ne tenterai pas de vous convaincre que c'est une série parfaite mais si vous êtes en manque de romantisme, vous trouverez bien un couple à votre taille (on ne se refait pas, le mien mettait en scène la rousse flamboyante). Et puis, quels costumes! Rien que pour ça, ça vaut bien de perdre un peu de son temps. 
J'ai regardé une vidéo avec les actrices de cette série en tenue de ville, trois d'entre elles sont difficilement reconnaissables. 

Série espagnole réalisée par Ramón Campos et Gema R. Neira. 
avec :
Blanca SuárezYon GonzálezAna Carlota Fernández
Sortie en avril 2017- La première saison comporte huit épisodes d'une cinquantaine de minutes. La deuxième saison est sortie en décembre.



Comme nous sommes dimanche, j'en profite pour partager avec vous ma surprise de la semaine. Pour la première fois, je crois (je ne regarde pas toujours mes statistiques), c'est en Russie qu'on me lit (enfin lire doit être un bien grand mot) le plus (plus qu'en France). ????



vendredi 16 février 2018

La tresse de Laeticia Colombani

Elles sont trois femmes vivant sur trois continents différents. Smita est une intouchable, mère d'une petite fille qu'elle refuse de voir récurer les latrines comme elle a dû elle-même le faire pour survivre. Giula est italienne et rencontre un jeune homme Sikh  qui  l'attire irrésitiblement alors même que son père est au plus mal suite à un accident, ce qui met en danger l'entreprise. Sarah, elle, semble avoir atteint son but. Cette canadienne travaille sans relâche dans un cabinet d'avocats dans laquelle est maintenant une associée. Mais on lui diagnostique un cancer et son monde vacille.
Je n'avais pas envie de lire ce roman, je sentais bien qu'il n'était pas pour moi. Mais il fait partie de la sélection du Prix Audiolib auquel je participe et j'ai tenté d'oublier mes a priori. Je ne l'ai pas du tout aimé. J'ai trouvé l'ensemble mièvre, sans intérêt, je n'ai rien appris sur les Intouchables que je ne sache déjà et comme il est court et découpé en trois parties, je ne me suis pas attachée à ces trois femmes. Dans l'entretien, l''intervieweuse se demande si on peut qualifier ce roman de féministe. Alors, si être féministe, c'est juste mettre en scène trois femmes qui se débattent contre des hommes (ce qui d'ailleurs, n'est pas tout à fait exact parce que Sarah trouve une vive opposition dans un personnage féminin), c'est très réducteur. Vous l'avez compris, inutile de m'étendre, ce roman, que j'ai fini pourtant, m'a laissée de marbre. Je me rends compte en écrivant ce billet que je ne m'étais même pas rendue compte qu'il y avait trois lectrices différentes (dont l'auteure), j'avais l'impression d'avoir été agacée par la même voix tout au long de l'écoute. 

Publié en novembre 2017. durée : 5h 04 
 


Découvrez ici les membres du jury du prix Audiolib. 
Je vous conseille plutôt d'écouter Arrête avec tes mensonges de Philippe Besson et Quand sort la recluse de Fred Vargas, aussi dans la sélection. 

mardi 13 février 2018

Mon traître de Pierre Alary (d'après le roman de Sorj Chalandon)

Dans Mon traître, le premier roman que j'ai lu de Sorj Chalandon et l'un des deux seuls que j'ai vraiment aimés de l'auteur, il nous raconte l'histoire d'un luthier français qui se prend d'amour pour un pays et d'amitié pour un homme, membre de l'IRA, puis est terrassé quand il découvre que cet homme a trahi la cause irlandaise. Histoire à peine romancée de sa propre douleur, l'entendre parler de son roman à cette époque, c'était entendre ses sanglots. Sorj Chalandon a accepté que Pierre Alary adapte son roman à la condition qu'il prenne totalement la main et en fasse ce que bon lui semblait. Le résultat est réussi. On retrouve la douceur et la force de l'amitié, la passion qui entraîne Antoine dans la lutte qu'on peut peut-être qualifier de passive mais qui ne l'est pas, puisqu'il prend des risques mais aussi la sobriété du texte de Chalandon. On sent la détresse face à l'incompréhensible. J'ai beaucoup aimé les dessins. Cette adaptation BD est pour moi une réussite. 

Ce roman ou plutôt la discussion qui suivit la lecture dans le cadre du Prix Elle avait marqué pour moi le début d'un changement, il m'avait rendue moins tranchante dans mes opinions (du genre, la trahison d'un membre de l'IRA n'est pas une trahison puisque ce sont des terroristes). Bref, il y a des rencontres autour de romans qui nous changent vraiment, qui nous adoucissent. 

Publié en Janvier 2018 aux éditions Rue de Sèvres. 142 pages. 

A conseiller à ceux qui ont aimé le roman et à ceux qui ne l'ont pas lu (c'est un coup de poing pour Mo ). 


dimanche 11 février 2018

Machine de cirque (cirque acrobatique)

Il y avait des lustres que je n'avais pas vu de spectacle de cirque. Comme beaucoup, j'ai emmené mes enfants au cirque, ceux où il y a des animaux évidemment puisque je suis politiquement incorrecte et sans conscience. Puis, avec des classes, j'ai commencé à aller au cirque théâtre. Je n'ai pas toujours été conquise, donc comme avec la danse, j'ai fini par me lasser. Et puis l'ado d'une amie a choisi ce spectacle en début de saison, lui le fan de cirque, lui l'équilibriste et manque de chance pour lui, son voyage scolaire tombait sur cette date. Par contre, ce fut une chance pour moi parce que c'est moi qu'on a invitée (double chance car j'ai aussi partagé le déjeuner et mon amie cuisine divinement bien, surtout la tarte au citron meringuée). 
Le spectacle démarre lentement, quelques petits numéros sur la machine, ça se balance, une mise en jambe quoi. Puis, c'est lancé et ça ne s'arrête plus. J'adore entendre le rire des enfants qui n'éclate pas toujours au même moment que celui des adultes. Aucun doute, les femmes rient à gorge déployée (et aux larmes pour moi) quand il fait venir une spectatrice sur scène, de soulagement bien sûr de ne pas avoir été choisie. Notre spectatrice du jour s'en est très bien sortie même s'il m'a semblé que son enfant n'a pas du tout apprécié de la voir sur scène avec un autre homme que son père. On rit aussi tout en admirant leur dextérité quand ils font voler leur serviettes et que nous les savons nus sur scène (pour l'anecdote, mon amie venait de me raconter la gêne qu'elle avait ressentie lors d'un précédent spectacle avec ses enfants quand un protagoniste s'était retrouvé nu sur scène). Ici, si tout se passe bien, vous ne verrez que des fesses. Moi qui ne suis pas fan du tout d’équilibriste sur une ou deux roues, il y a un passage époustouflant. Quant au final, j'ai presque eu envie de fermer les yeux tellement j'avais peur pour eux. C'est beau, drôle, énergique et je ne les raterai pas s'ils reviennent dans le coin. Je suppose que ces québécois ont déjà fait salle pleine dans les endroits où ils passent avant la fin du mois (après ils quittent la France) mais si ce n'est pas le cas, les dates restantes sont ici.
directeur artistique: Vincent Dubé
artistes: Yohann Trépagnier, Raphaël Dubé, Ugo Dario (mon chouchou, il est à la fois très expressif et techniquement époustouflant), Maxim Laurin et Frédéric Lebrasseur (musique). 


 A conseiller à tous dès 6 ans (selon le programme).
Merci Anita ! 

jeudi 8 février 2018

Trois amours de ma jeunesse de Danièle Saint-Bois (RL janvier 2018 n°3)

Rien n'est innocent dans ce que l'on fait, dans les cadeaux que l'on choisit, dans les mots que l'on prononce, dans les livres que l'on offre.  
La narratrice  reçoit un coup de téléphone lui annonçant la mort d'une femme qu'elle connût à vingt-six et qui menaça l'équilibre précaire dans laquelle se maintenait sa vie de mère de famille de trois enfants. Elle nous livre alors ses souvenirs de jeunesse, ceux liés à trois jeunes femmes qui l'ont pour le moins troublée, trois histoires avec des points communs souvent dus à la personnalité de la narratrice mais avec des différences liées aux profils des trois jeunes filles : Frankie qui va s'affirmer comme une femme uniquement attirée par des femmes, Linda avec qui elle vivra une correspondance passionnée et Mia, l'ado rebelle. 
Ainsi donc les filles étaient des pièges, les yeux des filles, le sourire des filles, l'amour des filles, le corps des filles. Comment s'en sortir? Pouvait-on guérir? Etait-ce dangereux, contagieux, héroïque?
On le comprend vite même sans connaître Danièle Saint-Bois, ce n'est pas un roman mais un récit autobiographique et dans ce livre plus que dans d'autres autofictions, le mot roman écrit en rouge sur la couverture m'a gênée parce que, si j'ai eu l'impression d'assister à l'éveil sentimental d'une jeune fille qui ne savait même pas que l'homosexualité existait, si j'ai été touchée par le récit de la pauvreté dans laquelle elle vivait, j'ai aussi été gênée par ce qui me semblait être un règlement de comptes, notamment à l'égard de Frankie. Danièle Saint-Bois se targue dans un passage d'avoir déjà écrit son histoire en utilisant les vrais prénoms des protagonistes de ses amours de jeunesse, sauf celui de Mia. Je pense que ces trois histoires auraient mérité d'être romancées, pour m'éviter de me sentir prise au piège de sentiments presque haineux. J'ai tendance à penser qu'à quelques exceptions près, nous sommes responsables de nos vies et de nos choix, qu'on ne rencontre pas les gens au mauvais moment si on en envie que ce soit le bon. Ce qui m'a sans doute le plus intéressée dans ce "roman", ce sont les mystères de la mémoire, qui ne cessent de me fasciner. Il semble que la narratrice se souvienne davantage de ce qui ne fut pas que de ce qui fut concernant ses amours, jusqu'à ce qu'une lettre retrouvée lui rappelle que l'émotion fut partagée. 

Publié en janvier 2018 chez Juillard. 180 pages. 

Merci à la libraire Dialogues
A conseiller à ceux qui aiment l'autofiction pure. 

mardi 6 février 2018

Les loyautés de Delphine de Vigan (RL janvier 2018 n°2 )

Quiconque vit ou a vécu en couple sait que l'Autre est une énigme. Je le sais aussi. Oui, oui, oui, une part de l'autre nous échappe, résolument, car l'Autre est un être mystérieux qui abrite ses propres secrets, et une âme ténébreuse et fragile, l'Autre recèle par-devers lui sa part d'enfance, ses blessures secrètes...

Hélène est prof en collège. Dans son enfance, elle a été battue par son père. Quand Théo s'installe dans ses cours, elle le sent, lui aussi souffre et donc forcément, elle le pense battu. Son inquiétude pour ce garçon va virer à l'obsession, au point qu'elle va enfreindre toutes les règles et perdre son sang froid. Théo, lui, aime s'enivrer dans un coin caché du lycée avec son ami Mathis, moins paumé que lui, mais à la recherche d'une amitié forte. Le quatrième regard de ce roman est celui d'Hélène, la mère de Mathis, qui a épousé un homme d'un milieu social plus élevé que le sien et qui a appris à gommer les expressions de son enfance, à dire "déjeuner" et "dîner" au lieu de "manger". Elle découvre que son mari n'est pas tout à fait celui qu'elle pensait. 
On le voit, Delphine de Vigan renoue avec le roman social et c'est pour moi une découverte car je n'avais lu que ses deux derniers romans. En général, je n'aime pas les romans qui se situent dans mon milieu professionnel; forcément, on a vite fait de trouver les personnages caricaturaux (je me souviens très bien d'un échange avec une copine avocate à propos du dernier Tanguy Viel, cela doit s'appliquer à toutes les professions). Des loyautés se lit vite et facilement mais je n'en retiendrai pas grand chose. Les personnages, comme les situations, vont vite s'effacer de ma mémoire. Il y a des moments touchants mais les couples de parents sont vraiment caricaturaux, même si évidemment, le couple de divorcés fera réfléchir les parents sur les phrases à retenir devant leurs enfants. Quand-même, cet homme qui quitte sa femme pour une autre, se fait quitter à son tour et sombre dans un puits sans fond, ça sent la vengeance de femme. L'autre père, d'ailleurs, est bien pire. Comme souvent dans les romans de l'auteure, il y a ce petit passage qui fait du bien aux femmes, celui où une femme balance ses quatre vérités à un homme en public. Avouons-le, ces passages réussis sont toujours réjouissants. Les profs mis en avant manquent d'équilibre et même si je ne doute pas que ces types de profs existent, que ce soit celle qui humilie l'élève ou celle qui en perd la raison à force de s'identifier à cet enfant, il me semble que ça rend l'ensemble trop irréaliste. Je me demande si mes passages préférés ne sont pas ceux entre Hélène et son psy, avec ce qu'ils comportent d'agacement et de tendresse envers cet homme qui mène la danse: 
Je commence à connaître ses interruptions d'expert et ses sournoises stratégies. Il s'est dit que j'allais me débrouiller toute seule avec mes aphorismes de bas étage et ce qu'ils contiennent de sens caché. Que cela ferait son chemin. 

Publié en janvier 2018 chez Lattès- 205 pages.

Merci à Nathalie pour le prêt.
A conseiller à ceux qui aiment se cacher dans un petit trou de souris. 

dimanche 4 février 2018

La douleur d'Emmanuel Finkiel

Il y a peu, je vous parlais de ce texte fort mais mal accompagné qu'est La douleur de Marguerite Duras. Je ne vais donc pas vous raconter l'histoire à nouveau. J'avais très envie de voir l'adaptation, ce qui n'est pas toujours le cas lorsque j'ai réellement aimé un texte. Peut-être parce que j'avais envie de voir comment Mélanie Thierry se débrouillerait ou peut-être que je lui faisais instinctivement confiance. Le choix de l'actrice est excellent et j'aime l'idée qu'un acteur n'est pas obligé de se grimer en un personnage pour l'incarner. Mélanie Thierry est Duras et on oublie qu'elle est trop blonde et trop jolie pour cela. Mitterand n'est d'ailleurs pas non plus incarné par un acteur qui lui ressemble. 
L'adaptation d'Emmanuel Finkiel est une réussite. A entendre d'autres spectateurs, nous nous sommes dit qu'il fallait sans doute avoir lu le livre pour pleinement l'apprécier mais j'ai rencontré depuis d'autres personnes qui l'ont beaucoup aimé sans avoir lu Duras. Là où certains l'ont trouvé long, ce ne fut pas du tout mon cas. Mon amie se demandait si le film n'était pas meilleur que le livre (nous parlons ici de l'intégralité du livre, pas seulement du texte La Douleur). Se poser la question, c'est déjà y répondre. La faiblesse du livre, c'était que le texte fort se trouve au début, rendant le reste bien fade. Ici, il se trouve à la fin. Mon intérêt est allé crescendo. J'ai d'abord apprécié l'esthétisme du film, le jeu des acteurs et la (presque) fidélité au texte dans la confrontation Rabier- Duras, à tel point que lorsque j'ai lu le roman, je crois que j'avais visualisé les scènes avec la tête de Magimel puisque je savais qu'il en serait l'interprète. J'avais du mal à croire que Benjamin Biolay puisse être un Dyonis convaincant et pourtant, il est parfait dans le rôle (et possède un charisme que je ne lui connaissais pas). On a le plaisir de retrouver les mots de Duras qui nous auraient manqué si le film n'avait été qu'une transposition et j'ai bien perçu l'oppression qu'on doit ressentir quand on vit dans un pays occupé. Mon petit bémol, c'est que des passages très forts ne sont pas mentionnés, je pense notamment à celle où Anthelme vole dans le frigidaire parce qu'on le rationne pour le préserver. A bien y réfléchir, ça permet de gommer l'aspect qui m'avait éthiquement posé problème dans le livre. Alors intentionnel ou pas, ce n'est sans doute pas une mauvaise idée. Je me demandais comment le corps de Robert Anthelme, si présent dans le livre pourrait apparaître à l'écran. Le réalisateur a intelligemment contourné la difficulté. Et l'ajout d'un personnage, celui de la maman juive qui attend le retour de sa fille, est un contrepoint bien pensé à la passivité de Marguerite à ce moment de sa vie. J'ai apprécié l'absence de pathos, ce qui n'empêche nullement l'émotion.
Un petit coup de gueule: il faut vraiment être motivé pour voir ce film quand on ne vit pas près d'une grande ville. 

2h 06- Sortie: le 24 janvier 2018.


A conseiller à ceux qui ont aimé le livre.
merci à C. pour cette première séance ciné commune et pour toutes les discussions qui ont entouré la lecture et la séance. 

jeudi 1 février 2018

La salle de bal d'Anna Hope

Contrairement à la musique, il a été démontré que la lecture pratiquée avec excès était dangereuse pour l'esprit féminin.

Nous sommes en 1911 dans le Yorkshire. Ella, ouvrière dans une filature, casse un carreau, désespérée par la situation de ses collègues. C'est ce l'on appellerait de nos jours, très familièrement, un "pétage de plombs". Parfois, ça fait du bien mais elle le paie cher, là voici internée à Sharston. Elle y découvre des personnes de tous les âges et de tous les milieux, même si les plus aisés sont normalement internés dans des établissements privés. Celle qui deviendra son amie, Clem, déteint dans le paysage puisqu'elle est élégamment vêtue et ne sort pas de ses livres. Mais l'univers n'est pas uniquement féminin ; le vendredi, hommes et femmes se retrouvent dans la salle de bal, à condition d'avoir été appelés. 
J'avais lu le précédent roman d'Anna Hope et j'avais eu l'impression que tout le monde l'avait aimé, sauf moi. Je m'y étais ennuyée, n'arrivant pas à m'attacher à ces femmes, touchée néanmoins par un ou deux passages. J'ai donc hésité mais le thème de celui-ci, le traitement des patients dans les asiles d'aliénés me tentait beaucoup. Le fait qu'il arrive entre mes mains par le biais du Prix Elle des lycéennes a précipité ma lecture. Tout commençait bien, la description de l'usine de filature et l'arrivée d'Ella à l'asile m'ont intéressée. Mais très vite, l'auteure centre toute son attention sur quatre personnages, Ella, Clem, John, trojs patients et un médecin. Or, j'aurais aimé en apprendre davantage sur la gestion des lieux plutôt que de ne suivre que le parcours d'un médecin raté mélomane, qui rêve de se faire remarquer par Churchill pour ses projets eugénistes. Certains morceaux de l'intrigue m'ont semblé bien convenus et je n'adhère pas à l'écriture. Et comme avec Ces rêves qu'on piétine, j'ai été gênée par la fausse lettre attribuée à Churchill (j'ai tout de même appris ici qu'il fut porté sur l'eugénisme). Si je finis pas lui laisser une dernière chance, je la lirai en version originale pour voir si l'effet est le même. Me voilà donc bien seule à rester insensible à la plume et aux intrigues de cette auteure. Sur le même thème, j'ai de loin préféré La disparition d'Esme Lennox de Maggie O'Farrell. 

Sorti en août 2017 chez Gallimard- 400 pages

Merci au Prix des lectrices de Elle des lycéennes (j'ai hâte d 'avoir les retours de mes élèves).
A conseiller à tous puisque je suis la seule à ne pas être emballée.  

Moi par (six) mois

En juillet, je publiais ici le résumé des six premiers mois de mon année. Il fallait bien une suite, la voici donc. Une suite, mais aussi ...