jeudi 25 janvier 2018

Et soudain, la liberté d'Evelyne Pisier et de Caroline Laurent.

Elle n'était pas de celles qui regardent en arrière; une vie se construit devant soi. Les pèlerinages n'étaient pas de son goût. 

Drôle d'histoire que ce livre qui n'est ni complètement un roman, ni complètement une (auto)biographie, écrit par deux femmes qui ont quarante-sept ans d'écart, l'une ayant envoyé un manuscrit à l'autre. Histoire d'un livre qui ne sera pas tout à fait ce qu'il devait parce que'Evelyne meurt, histoire surtout d'une rencontre entre deux femmes, de ces rencontres qu'on n'explique pas, qui bouleverse tout sur leur passage. On le sent, rencontrer Evelyne Pisier aura été un moment fort de la vie de Caroline Laurent et l'amitié ne se comptabilisant pas, peu importe qu'elles ne se soient connues que six mois (de cela, les autres s'étonnent, comme si sa tristesse n'était pas légitime). 
Evelyne Pisier voulait raconter sa vie et celle de sa famille sous le prisme du romanesque pour se permettre quelques libertés. A lire son destin et celui de ses parents, on a envie de dire que la fiction est superflue. Je ne dirais pas que j'ai eu l'impression de lire un grand roman mais celle de rencontrer deux femmes extraordinaires. Mona, ce personnage de fiction sous lequel se cache la mère d'Evelyne, qui quitte son mari, le colonialiste dans toute sa splendeur (Dans une entreprise, dans une administration ou dans une patrie, il y a un chef. Dans une famille aussi, il y a un chef. C'est celui qui gagne le pain. Et le chef ici, c'est moi! Le croûton n'est pas une histoire de goût, c'est une histoire de chef), l'épouse à nouveau pour être bien sûr de le quitter sans regret et Evelyne qui fit succomber Fidel Castro et Bernard Kouchner, son futur mari et le père de trois de ses enfants. Difficile de faire plus militante que Mona, qui se battit contre toutes les injustices ou presque et fut même capable d'auto-critique envers son homophobie originelle. On ne s’appesantit pas sur les drames, la sœur célèbre, Marie-France Pisier ne sera mentionnée qu'à la toute fin, mais il est difficile de ne pas penser qu'Evelyne a vécu avec le poids de suicides répétés : celui de son père, de sa mère (une mère qui ne révélera son cancer du sien que lorsqu'il est fini) et de sa sœur.  Il y a de très beaux passages sur les liens féminins, que ce soit le lien mère-fille du point de vue de Mona (les pages où Evelyne/Lucie devient mère sont très belles et originales) ou sur l'amitié qui relie les deux auteures mais aussi sur le lien éditeur- auteur:
Fantomatique, l'éditeur fait planer son ombre sur le texte, joue à cache-cache avec le lecteur, généralement sans rien en dire car la lumière de celui qui signe l'ouvrage suffit à le combler. 
Et puis, disons-le, j'ai aimé ce livre pour des raisons très personnelles, parce qu'il me renvoyait à d'autres textes, de manière volontaire parfois comme avec la lecture du Deuxième Sexe qui change Mona ou d'autre façon, non voulue par les auteures. Il y a aussi la douceur des hommes, celle à laquelle on ne s'attend pas forcément, ce prêtre qui sait dire les mots justes (la confession est d'ailleurs très finement utilisée, à deux reprises, dans ce livre) ou ce tyran qui se fait amoureux.

Publié le 31 août 2017. 448 pages. Prix Marguerite Duras 2017  (selon moi, la proximité entre ce livre et Duras est réelle mais n'est pas liée à la plume).

Merci au Prix Elle des lycéennes.
A conseiller à ceux qui veulent rencontrer des femmes à poigne qui n'en oublie pas de tomber passionnément amoureuses. 

16 commentaires:

  1. Réponses
    1. Une sensation difficile à expliquer après la lecture de ton billet...

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    2. Ecoute, c'est un beau compliment, si ce livre t'intrigue après la lecture de ce billet, c'est que je t'ai montré qu'il pouvait avoir un intérêt.

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  2. Un personnage qu'il me faut découvrir.

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  3. Ca a l'air très fort, ce livre dont je n'avais pas entendu parler. Ah la la, les familles...
    Merci pour votre dernière visite.

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    1. Ah oui, ces familles! Surtout celles à propos desquelles il y a matière à écrire un roman!

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  4. A priori il ne m'attirait pas spécialement mais pourquoi pas s'il croise ma route. Tu as l'air emballée.

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    1. Emballée, c'est beaucoup dire mais j'ai pris plaisir à le lire.

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  5. Il a l'air un peu compliqué ce livre, mais la vie l'est.
    J'aime bien le côté mi roman mi biographique...et j'aime bien les histoires racontées par des femmes.

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  6. On comprend pourquoi ce texte t'a touchée, tu expliques parfaitement ton ressenti. Très joli billet.

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    1. Touchée n'est peut-être pas le mot. Intéressée plutôt.

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  7. j'ai aimé cette trajectoire féminine qui sort de son milieu de naissance et s'écarte d'un chemin tout tracé...ainsi que l'évocation de la 2e GM vue du côté asiatique, ce qui est assez rare. et l'amitié entre Caroline Laurent et Evelyne Pisier m'a beaucoup touchée.

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