jeudi 8 juin 2017

Notre désir est sans remède de Mathieu Larnaudie

Elle naît à une époque où l'on meurt; où dans la mémoire des hommes, les dates se confondent avec les carnages qu'elles marquent; où de l'autre côté du monde, en même temps que les abus s'abattent, retournent la terre et les êtres qui y traînent leur barda, s'y planquent, y courent en tous sens comme des cafards, une ancienne civilisation se retourne et s'enterre elle-même. 

Frances Palmer devient une actrice hollywoodienne à la fin des années 30. Sa mère, admiratrice des actrices américaines comme Joan Crawford, se réjouit de ce succès. Mais Frances ne rentre dans aucun moule: communiste ou anarchiste, on ne le sait pas vraiment, féministe et athée, elle boit et se drogue et finit par frapper un policier qui l'arrête. C'est le début d'un parcours difficile qu'elle ne fut pas la seule suivre à suivre, celui des personnes internées contre leur gré. 

J'aime la manière dont Mathieu Larnaudie nous fait entrer dans l'univers de Frances Palmer, d'Hollywood mais aussi de ces centres dans lesquels on retenait prisonniers des individus dont le seul défaut était de ne pas rentrer dans le moule. A travers sept moments clés de la vie de l'actrice, étayés par des photos ou une vidéo qu'il décrit, l'auteur nous donne l'impression d'entrer par une fenêtre et de découvrir ce qui se trame. C'est parfois fort, même s'il n'y aucun pathos mais au contraire, une certaine distance. Néanmoins les passages concernant la façon dont les femmes internées étaient vendues aux soldats par des gardiens ne peuvent pas laisser indifférent. Notre désir est sans remède est à la fois un beau portrait de femme forte et le portrait d'une société qui ne pouvait accepter ceux qui déviaient de la norme (mais les temps ont-ils vraiment changé?). La plume de l'auteur est à l'image de sa rhétorique, extrêmement agréable. C'est autant un plaisir de le lire que de l'écouter. Mathieu Larnaudie était présent au festival Epoque de Caen et est intervenu, au côté de Marie Le Gall et de la passionnante psychiatre du CHU de Caen, Perrine Brazo, dans un débat qui portait autant sur l'évolution du traitement de la "folie" que sur le féminisme. Et écouter un homme défendre passionnément le droit des femmes à "être", quelque que soit cette manière d'être est déjà un plaisir. 

Publié en août 2015 chez Actes Sud.  228 pages. 

A conseiller à ceux qui aiment à la fois les portraits de femmes fortes et les tableaux sociétaux. 
Merci à ce roman qui m'a sortie d'une situation un peu délicate. Et merci ç celui ou celle qui a trouvé ce si beau titre. 

8 commentaires:

  1. Est-ce vraiment un roman ? Ou plutôt une sorte de « documentaire » romancé ? Je m'exprime mal, mais ma question est vraiment de savoir si le style est bien celui d'un roman ou plutôt d'un essai.

    Je crois que c'est ma plus grande peur dans la vie : être enfermée parce que considérée trop « hors norme ».

    Et ce titre ! Mazette !

    Comment as-tu déniché ce livre ?

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    1. Le hasard des belles rencontres festivalières. L'auteur était à Voiron fin 2016, moi aussi. Et quand j'ai vu qu'il revenait dans un festival normand, plus près de chez moi donc, j'ai su que c'était le moment de le lire. Et ce thème m'attirait, comme toi.
      C'est basé sur une histoire vraie mais c'est un roman, ne serait-ce que par la forme, à mon avis très originale, de rentrer dans le récit.

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  2. J'ai lu récemment un article sur les pratiques psychiatriques en recul aujourd'hui et je pense que l'on est toujours en danger quand on n'est pas dans la norme. Une histoire qui doit être éprouvante à lire.

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    1. Tout de même un peu moins (je pense que mon parcours personnel aurait très bien me faire interner dans une autre époque) mais en tout cas, sortir des sentiers battus reste un combat.

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  3. Je redoute un peu le côté "folie" de ce livre.

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    1. Il n'y as pas folie, juste une femme un peu hors norme.

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  4. On n'a pas beaucoup entendu parler de ce livre il me semble. Comme quoi il y a de très bons livres qui passent inaperçus.

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