mardi 30 janvier 2018

4 3 2 1 de Paul Auster (RL janvier 2018 n°1)

One of the odd things about being himself, Feguson had discovered, was that there seemed to be several of him, that he wasn't just one person but a collection of contradictory selves, and each time he was with a different person, he himself was different as well. 

Je ne fais pas partie des inconditionnelles d'Auster. De lui, j'ai tenté deux romans qui m'ont laissée de marbre et un qui  m'a enthousiasmée mais dont je reconnais le côté sulfureux, Invisible. Pourtant, quand j'ai croisé la route de ce roman, en janvier dernier, au WH Smith parisien, impossible pour moi de ne pas être attirée. Il venait de sortir en grand format américain, il était donc énorme avec ses 1000 pages et j'aimais beaucoup la couverture. Pour une fois, j'ai lu la quatrième de couverture pour tenter de comprendre pourquoi Auster avait quitté ses formats relativement courts et j'ai été séduite par l'idée de donner à son personnage principal, Archie Ferguson, quatre destins différents. On sent très vite qu'Archie ne doit pas être très éloigné de l'auteur. Il vit à la même époque, semble avoir les mêmes origines et veut devenir écrivain. En lisant ce roman, on comprend bien (enfin, je l'ai compris ainsi) que la vie est un éternel renoncement, une éternelle croisée des chemins. Or ces chemins, on ne pourra pas tous les prendre. A l'âge de Paul Auster, on peut avoir envie d'imaginer ce qu'auraient pu être ces autres vies, surtout quand on est un écrivain qui a réussi, sinon, j'imagine bien la déprime. Alors, oui, c'est un poil trop long, oui, j'ai sauté quelques phrases mais dès la première page, j'ai travaillé sur un extrait pour l'étudier avec mes secondes avec qui j'abordai Ellis Island et la semaine dernière, j'ai étudié un passage avec mes terminales sur l'enrôlement des jeunes à la guerre du Vietnam. C'est à la fois un destin personnel et celui d'une génération. Il m'a fallu 400 pages pour pouvoir dire que ça me plaisait  mais j'ai beaucoup aimé les explications sur la genèse habilement imbriquées dans le roman. La fin de chaque partie surprend et c'est sans doute l'une des grandes réussites de ce pavé. Précisons aussi, comme me le faisait remarquer un collègue d'histoire-géo qu'on en apprend beaucoup sur les mouvements radicaux étudiants. Il y a des réflexions intéressantes sur l'écriture, comme par exemple la différence entre écrire pour la presse et écrire un roman. Et bien sûr, puisque c'est Auster, la sexualité est scrutée sous de bien nombreux aspects, c'est l'avantage d'avoir quatre destins. Vous l'aurez sans  doute compris, ce qui m'a séduite, ce n'est pas tant la plume d'Auster que la construction du roman et son contenu historique. 
C'est mon premier roman de la rentrée littéraire, je commence tard mais avec ses 1024 pages, ce roman m'a pris du temps. Publié en janvier 2018 chez Actes Sud (et chez Faber et Faber dans mon édition américaine). Papillon a beaucoup aimé. 

Merci à Marjorie, pour avoir été là le jour où je l'ai repéré et des mois après, le jour de l'achat. 
A conseiller aux amoureux de l'histoire américaine et à ceux qui ne veulent pas choisir entre un chemin ou un autre. 

dimanche 28 janvier 2018

La fresque d'Angelin Preljocacj (danse)

Il y a bien longtemps, j'ai fait un stage de danse (au cours duquel j'avais  d'ailleurs rencontré l'écrivain Marie Nimier puisqu'elle écrit pour la danse parfois). Un peu plus tard, j'ai participé à une journée danse avec mes élèves, et le danseur normand, Dominique Boivin, nous avait fait danser, les élèves, et nous, leurs enseignants, tous ensemble. Un moment fort où eux, comme nous, nous mettions un peu en danger. J'avais adoré ces moments, bien plus que les deux mois de danse classique quand j'avais sept ans. Ce que j'avais beaucoup moins aimé, c'étaient les spectacles que j'avais vus cette année-là, avec la classe. C'était le moment (je ne sais pas si c'est fini) où il semblait que la mode était à la nudité qui moi, me semblait gratuite, et je ne comprenais pas tout ce qui se tramait sur scène. Je n'ai pas remis les pieds à un spectacle de danse pendant dix ans et cette année, une copine m'a offert une place de spectacle, parce que, m'a-t'elle dit: "C'est un chorégraphe qui déçoit rarement". Elle avait raison. 
Deux jeunes hommes, fatigués par leur voyage, rencontrent un ermite. Il leur montre une fresque illustrant des jeunes filles qui dansent. L'un deux va tomber amoureux de l'une des filles et vouloir la rejoindre dans son univers. Ce spectacle, basé sur un conte chinois, est pétillant, esthétiquement très beau (on pourrait cependant discuter de certains costumes masculins). J'ai, comme souvent, préféré les passages de groupes et peu aimé le solo féminin et en général préféré la danse masculine, plus physique, aux passages féminins. J'ai été transportée par un tout petit geste technique, qui prend une seconde, mais qui était parfait. A la sortie, j'ai croisé plusieurs de mes élèves, tous enthousiasmés par ce qu'il venait de vivre, filles et garçons inclus, tous danseurs amateurs. L'un d'entre eux m'a même dit qu'il avait envie de pleurer tellement c'était beau (oui, la sensibilité masculine existe). 
Me voilà donc réconciliée avec la danse surtout s'il y a un nombre important de danseurs. Point trop n'en faudra non plus et pas trop long (1h20, c'est bien, plus, ce serait trop) mais à raison d'une ou deux fois par an, je suis partante.

Vu au théâtre de l'Arsenal à Val de Reuil (27). Quelques dates ici.

Merci à Mélanie pour ce cadeau.
A conseiller à ceux et celles qui veulent un beau spectacle, qui a du sens. 


                                              

jeudi 25 janvier 2018

Et soudain, la liberté d'Evelyne Pisier et de Caroline Laurent.

Elle n'était pas de celles qui regardent en arrière; une vie se construit devant soi. Les pèlerinages n'étaient pas de son goût. 

Drôle d'histoire que ce livre qui n'est ni complètement un roman, ni complètement une (auto)biographie, écrit par deux femmes qui ont quarante-sept ans d'écart, l'une ayant envoyé un manuscrit à l'autre. Histoire d'un livre qui ne sera pas tout à fait ce qu'il devait parce que'Evelyne meurt, histoire surtout d'une rencontre entre deux femmes, de ces rencontres qu'on n'explique pas, qui bouleverse tout sur leur passage. On le sent, rencontrer Evelyne Pisier aura été un moment fort de la vie de Caroline Laurent et l'amitié ne se comptabilisant pas, peu importe qu'elles ne se soient connues que six mois (de cela, les autres s'étonnent, comme si sa tristesse n'était pas légitime). 
Evelyne Pisier voulait raconter sa vie et celle de sa famille sous le prisme du romanesque pour se permettre quelques libertés. A lire son destin et celui de ses parents, on a envie de dire que la fiction est superflue. Je ne dirais pas que j'ai eu l'impression de lire un grand roman mais celle de rencontrer deux femmes extraordinaires. Mona, ce personnage de fiction sous lequel se cache la mère d'Evelyne, qui quitte son mari, le colonialiste dans toute sa splendeur (Dans une entreprise, dans une administration ou dans une patrie, il y a un chef. Dans une famille aussi, il y a un chef. C'est celui qui gagne le pain. Et le chef ici, c'est moi! Le croûton n'est pas une histoire de goût, c'est une histoire de chef), l'épouse à nouveau pour être bien sûr de le quitter sans regret et Evelyne qui fit succomber Fidel Castro et Bernard Kouchner, son futur mari et le père de trois de ses enfants. Difficile de faire plus militante que Mona, qui se battit contre toutes les injustices ou presque et fut même capable d'auto-critique envers son homophobie originelle. On ne s’appesantit pas sur les drames, la sœur célèbre, Marie-France Pisier ne sera mentionnée qu'à la toute fin, mais il est difficile de ne pas penser qu'Evelyne a vécu avec le poids de suicides répétés : celui de son père, de sa mère (une mère qui ne révélera son cancer du sien que lorsqu'il est fini) et de sa sœur.  Il y a de très beaux passages sur les liens féminins, que ce soit le lien mère-fille du point de vue de Mona (les pages où Evelyne/Lucie devient mère sont très belles et originales) ou sur l'amitié qui relie les deux auteures mais aussi sur le lien éditeur- auteur:
Fantomatique, l'éditeur fait planer son ombre sur le texte, joue à cache-cache avec le lecteur, généralement sans rien en dire car la lumière de celui qui signe l'ouvrage suffit à le combler. 
Et puis, disons-le, j'ai aimé ce livre pour des raisons très personnelles, parce qu'il me renvoyait à d'autres textes, de manière volontaire parfois comme avec la lecture du Deuxième Sexe qui change Mona ou d'autre façon, non voulue par les auteures. Il y a aussi la douceur des hommes, celle à laquelle on ne s'attend pas forcément, ce prêtre qui sait dire les mots justes (la confession est d'ailleurs très finement utilisée, à deux reprises, dans ce livre) ou ce tyran qui se fait amoureux.

Publié le 31 août 2017. 448 pages. Prix Marguerite Duras 2017  (selon moi, la proximité entre ce livre et Duras est réelle mais n'est pas liée à la plume).

Merci au Prix Elle des lycéennes.
A conseiller à ceux qui veulent rencontrer des femmes à poigne qui n'en oublie pas de tomber passionnément amoureuses. 

mardi 23 janvier 2018

Ces rêves qu'on piétine de Sébastien Spitzer

Magda Goebbels vit ses dernières heures. Berlin est assiégé, Hitler et ses proches se terrent en attendant l'avancée des troupes alliées et par là-même, leur mort. A l'autre bout de la chaîne, un homme est mort après avoir caché toutes les lettres qu'il a écrites à sa fille qui l'a renié. Cette fille, c'est Magda. 
J'avais bien sûr repéré ce roman parmi ceux de la rentrée, ne serait-ce que parce qu'il avait été porté par l'enthousiasme de Jérôme. J'avais hésité, trouvant que ce thème de la seconde guerre mondiale était décidément trop présent dans cette rentrée de septembre. Peut-être que d'avoir lu récemment des auteurs rescapés des camps comme Semprun et Anthelme a joué contre ce roman mais avouons-le, je m'y suis ennuyée. J'ai été gênée par ce mélange de fiction et de réel (qui peut parfois ne pas me gêner et je ne sais pas expliquer ce qui fait pencher la balance d'un côté ou de l'autre) et sans doute aussi par le personnage de Magda et ce qu'en fait Sébastien Spitzer. Et je ne vois pas l'intérêt d'avoir inventé les lettres du père à la fille. Je crois que je peux comprendre qu'on brode sur du réel mais pas sur des lettres, qui sont pour moi les fenêtres les plus intimes ouvrant sur un être. Pour que j'aime un roman sur les camps, maintenant que j'en ai tant lu, il faut qu'il adopte un point de vue original et soit particulièrement bien écrit, comme Kinderzimmer. Je me demande parfois si tout n'a pas déjà écrit sur le sujet. Evidemment, il reste utile de lire sur le thème, mais d'écrire? C'est une question à laquelle je me garderai évidemment de répondre faute de détenir la vérité. 

Les éditions de l'Observatoire- Septembre 2017- 310 pages.

Merci au Prix des lectrices de Elle des lycéennes. 
A conseiller à ceux qui ont envie de découvrir Magda Goebbels (mais peut-on avoir envie de la découvrir. 


dimanche 21 janvier 2018

pause douceur: spa du domaine de la haie des granges


Si j'aime l'eau, je ne suis pas forcément une adepte des spas. J'ai souvent l'impression d'avoir du mal à respirer dans les saunas. Pourtant, quand mon amie m'a proposé une sortie à deux sous la forme d'une journée détente avec massage et spa, elle n'a pas eu besoin de me convaincre. Nous étions dans les tous premiers jours du mois, le vent soufflait, une bulle de douceur était la bienvenue. Le spa rouennais qu'elle avait repéré étant complet, j'avais farfouillé sur ma bible, Tripadvisor, pour en trouver un autre presque aussi luxueux. C'est sur le Domaine de la haie des granges que notre choix s'est porté et grand bien nous en a pris, car nous avons passé plus de cinq heures à nager, nous faire masser, manger (car on peut manger un repas froid sur place), profiter du jacuzzi (le hammam et le sauna sont aussi disponibles), tout cela en voyant les passants en anorak à l'extérieur et le vent souffler très fort. L'accueil y est très chaleureux et en étant dix (mais seules à l'ouverture pendant une heure), on ne se marche pas sur les pieds puisqu'on se sépare en différents espaces. C'est un moment cocooning que je vous conseille fortement, à environ une heure de Paris. On peut y dormir dans des petits chalets et y manger en amoureux dans une bulle. On peut se faire masser en duo, ce qui est une belle expérience à partager (assez drôle aussi). Et puis, pour trouver un lien culturel, on peut très bien y lire, Camus se fond parfaitement dans le décor. 

Plus d'infos  ici. Ce billet n'est évidemment pas sponsorisé. 

Merci à Celle qui a eu l'idée de ce très beau moment à partager. 
A conseiller à ceux qui ont envie d'une grande bulle de douceur normande en plein hiver. Vous risquez de voir fleurir d'autres billets spa sur ce blog. 



jeudi 18 janvier 2018

Je te dois tout le bonheur de ma vie/ Leonard et Virginia Woolf de Carole d'Yvoire

Ce monde des humains devient trop compliqué, je m'étonne que nous ne remplissions pas davantage les asiles d'aliénés.

Ce curieux livre de poche (curieux car je n'avais jamais vu ce qu'on appelle en anglais un "hardback" de la collection du livre de poche) est le premier livre de Carole d'Yvoire, qui est traductrice. Ce beau livre illustré de photos et de dessins en début de chapitre retrace la jeunesse de Virginia Stephen, qui deviendra Virginia Woolf, et de Leonard Woolf. L'auteur choisit d'arrêter son récit à la création de la maison d'édition, permettant au lecteur de croire un peu que l’histoire qui unit ces deux êtres eut une fin heureuse. Et pourquoi pas?
Mon plus grand reproche envers ce livre, c'est son titre que je trouve trompeur. On pourrait penser à une histoire à l'eau de rose tout d'abord. En plus, je ne suis pas certaine qu'il résume parfaitement le lien qui unissait Leonard et Virgina. L'auteure nous livre de nombreux extraits épistolaires de  Leonard, ce qui explique qu'à la fin de la lecture, on a l'impression de comprendre l'amour que Leonard porte à sa femme mais les pensées de Virginia restent un mystère. C'est malgré tout un livre féministe dans le sens où il donne des raisons très précises au mal-être de Virginia (attouchements de ses demi-frères, perte de sa mère puis de plusieurs proches et enfin le diagnostic médical sur son incapacité mentale à être mère). Voilà une femme qu'on a considérée comme "folle" parce que la folie féminine était considérée comme une fatalité pour un certain nombre d'entre elles. Inutile donc d'en chercher les causes et sans cause, il est difficile de soigner. En fait, de nombreuses personnes de l'entourage de Virginia ont souffert de troubles psychiques, les menant parfois au suicide et cela incluait aussi bien des hommes que des femmes. Carole Yvoire remet d'ailleurs en cause la manière dont on traitait alors les dépressifs et rappelle que le Lunacy Act de 1890 imposait qu'on interne toute personne ayant fait une tentative de suicide. Le parcours de Leonard Woolf est très original : parti à Ceylan parce qu'il n'avait pas réussi le concours de Cambridge, il va s'y révéler professionnellement en tant que haut-fonctionnaire et tomber sous le charme de cet endroit.
Ce roman est accompagné de deux courtes nouvelles, l'une de Leonard Woolf et l'autre de Virginia Woolf. Comme vous le savez, les nouvelles et moi, ça fait deux, donc je ne m'étendrai pas dessus. C'est un beau livre de poche que je vous recommande. J'ai  très envie de relire Virginia Woolf, ne serait-ce que parce que je suis persuadée de l'avoir lue trop jeune pour la comprendre vraiment. 

Publié le 2 novembre 2017- 225 p.

A conseiller à ceux qui veulent découvrir le couple Leonard et Virginia Woolf. 

mardi 16 janvier 2018

La douleur de Marguerite Duras

Ce livre se compose de plusieurs récits se déroulant tous à l'époque de la seconde guerre mondiale. Il est relativement difficile de les englober dans un même avis parce que leur intensité, et à mon avis, leurs qualités, ne sont pas comparables. Certains m'ont laissée de marbre mais il est vrai qu'il était très difficile de passer après La Douleur, le premier texte, qui traite de l'attente de Marguerite Duras à la fermeture progressive des camps et au retour des déportés, puis de ce qui se produit après le retour de celui qu'elle attend. Ce texte est très fort et émouvant. Je pourrais en citer de longs extraits et il m'est difficile de choisir. En tant que membre du PC, avec lequel on sent pourtant qu'elle a récemment pris de la distance, elle critique De Gaulle et ne pardonne ni sa phrase, "Les jours des pleurs sont passés. Les jours de gloire sont revenus", ni son silence sur les camps. Elle s'interroge sur la nationalité allemande:
On est étonné. Comment être encore Allemand? On cherche des équivalences ailleurs, dans d'autres temps. Il n'y a rien. D'autres resteront éblouis, inguérissables. Une des plus grandes nations civilisées du monde, la capitale de la musique de tous les temps vient d'assassiner onze millions d'êtres humains à la façon méthodique, parfaite, d'une industrie d'état. 
La scène au cours de laquelle les deux amis de Robert Antelme (appelé ici Robert L. pour une raison que je ne m'explique pas), habillés en vêtements militaires, l'un vêtu d'ailleurs du costume de colonel de Mitterand, alias François Morland, son nom de résistant, viennent le chercher dans les camps, l'habillent en soldat et le soutiennent pour qu'il puisse sortir du camp avant que la mort ne le prenne est d'une force incroyable. Puis, il y a les retrouvailles avec cet être qui ne ressemble plus à celui qui est parti, ce qui rappelle immanquablement un passage fort de L'Espèce Humaine, qu'écrira  Robert Antelme, et cette lutte avec la mort pendant des semaines, réapprendre à manger sans en mourir, et ces passages indispensables car extrêmement parlants sur les excréments de Robert: 
Pendant dix-sept jours, l'aspect de cette merde resta la même. Elle était inhumaine. Elle le séparait de nous plus que la fièvre, plus que la maigreur, les doigts désonglés , les traces des coups des S.S. 
Comment ne pas être profondément touché par cet être qui revenant des camps, n'a pas mangé à sa faim pendant très longtemps et qu'on doit rationner pour le garder en vie, au point qu'il en arrive à voler dans le frigidaire?
Marguerite Duras mentionne le fait qu'après l'écriture de L'espèce humaine, il n'a plus parlé des camps. Jamais, dit-elle. La lecture de l'entretien entre le seconde épouse de Robert Antelme et Laure Adler, entretien truffé de fautes mais passionnant car il m'a menée à m'interroger sur La Douleur, sur ce droit que s'est arrogé Duras de décrire Antelme dans des postures on ne peut plus délicates, dément cette idée. 
J'ai tellement parlé de La douleur que je n'ai plus envie de m'étaler sur les autres textes. Je vais tout de même mentionner le fait qu'un autre récit mentionne le besoin, l'envie de torturer et Duras le clame, celle qui souhaite cette torture, c'est elle. 
A vous de décider si La Douleur est un texte qu'il faut lire. Je n'ai pas de réponse. Je sais qu'il m'a emmenée là où je n'avais pas forcément envie d'aller mais que j'y suis allée consentante et avec l'impression d'avoir vécu un instant très fort, qui répondait à L'Espèce humaine, qui me permettait sans doute de rester encore un peu avec cet homme que j'ai admiré. Pour autant, sur le fond, c'est tout ce que je n'aime pas, ce non-respect de la vie d'autrui. Mais comme tout un chacun, je suis un être plein de contradictions et on touche ici à l'une des questions éthiques de la littérature : la force et la beauté d'un texte justifient-ils l'usurpation de morceaux de vie? 

Publié en 1985 aux éditions P.O.L. 

Merci à mon CDI grâce à qui je vais poursuivre la découverte de l'auteure, de sa plume et de sa personnalité, décidément pleine de facettes. 
A conseiller à ceux qui ont lu "L'espèce humaine" et sans aucun doute à ceux qui souhaitent aller voir l'adaptation qui sort le 24 janvier au cinéma.

dimanche 14 janvier 2018

statistiques

Depuis que je suis sur blogger, j'ai accès à des infos statistiques plus précises que sur canalblog qui m'hébergeait avant ou peut-être est-ce tout simplement que je savais pas où les cherhcer. Et je ne cesse de m'étonner en découvrant que les articles les plus lus ne sont pas toujours ceux que j'attendais. J'ai ainsi découvert que mon billet sur Mistral Perdu d'Isabelle Monin était désormais le troisième billet le plus lu du blog alors que c'est un roman que j'ai peu vu commenté sur les blogs ; je suppose que le lien vers mon billet a dû être partagé par la maison d'édition. Avant cette année, Le soir du chien était indétrônable, je suppose qu'il est étudié dans les lycées pour que j'ai des arrivées aussi régulières sur ce billet et ils ont dû être bien déçus devant ce billet si court. 


Dans le même style, je m'étonne qu'on puisse rechercher dans un moteur de recherche des éléments aussi vagues qu'un prénom et je ne comprends pas comment on peut arriver ici en tapant "Loubat-delranc", visiblement un auteur de chez Belfond. Là, encore, ceux qui sont arrivés chez moi en voulant en savoir davantage sur le caractère de Chaplin Chaplin ont dû être déçus même si la biographie de Chaplin par Ackroyd mérite le détour. Je précise aussi à Carole Galea prof d'espagnol qu'on arrive parfois sur mon blog en la recherchant (je n'ose imaginer combien de fois on arrive chez Galea). 

jeudi 11 janvier 2018

Jungle de Monica Sabolo

Je n'étais pas faite pour cette vie. Cette vie où les gens s'embrassaient, se filaient des coups de poings, se couraient après, partaient dans des ambulances main dans la main, virevoltant dans le grand ballet de l'amour, pendant que moi, je restais là, immobile, invisible, oubliée dans un coin sombre de la pièce.

Julia et Louise se rencontrent quand elles sont enfants. Les parents de Julia viennent régulièrement rendre visite aux parents de Louise, puis le père vient avec sa fille mais sans sa femme, jusqu'à ce que la mère de Louise et le père de Julia finissent par partir ensemble. Julia ne se remettra jamais d'avoir perdu l'attention de celui qu'elle comptait bien épouser un jour, alors que pour Louise, c'est la suite logique d'une histoire d'amour à sens unique avec sa mère. Julia, toujours endimanchée, va tout faire pour gagner l'amitié du garçon manqué qu'est Louise. Elle accepte de se salir, prend avec le sourire le crapaud que Louise lui envoie à la figure. Louise est conquise. Cette amitié durera jusqu'au suicide de Julia, qui ouvre le roman. Louise va dérouler le fil de ses souvenirs, mêlant différentes périodes pour tenter de comprendre comment elles en sont arrivées là. 
Monica Sabolo sait parfaitement mettre en scène les liens et les sentiments adolescents. Tout est surdimensionné, l'amitié comme l'attirance envers les garçons, surtout pour Louise, puisque c'est son point de vue qui nous est livré ; l'amitié n'a, dans son intensité, rien à envier à l'amour. Julia, elle, restera jusqu'au bout mystérieuse, celle qui fait tourner toutes les têtes et ne semble s'attacher à personne, sauf à Louise. C'est sans doute quelques crans en dessous de Summer mais on y sent déjà les germes des thèmes qui y seront traités, dont les manquements parentaux. Il sera difficile d'oublier ce couple de jeunes filles. C'est un roman que je vous recommande donc, si vous aimez ce thème de l'amitié féminine et de ses complexités, même si pour moi, la plume de Monica Sabalo a beaucoup évolué après ce roman. 

256 pages, publié en livre de poche en mars 2017. 


mardi 9 janvier 2018

Le premier homme d'Albert Camus

...au lieu de la joie du succès, une immense peine d'enfant lui tordait le cœur, comme s'il savait d'avance qu'il venait par ce succès d'être arraché au monde innocent et chaleureux des pauvres, monde refermé sur lui-même comme une île dans la société mais où la misère tient lieu de famille et de solidarité, pour être jeté dans un monde inconnu qui n'était plus le sien...

Une fois n'est pas coutume, je vais commencer par parler de l'histoire de ce livre avant de le résumer. Retrouvé près d'Albert Camus le jour de sa mort accidentelle, ce livre inachevé et dont certains mots n'étaient pas lisibles (ce qui est signalé) constitue la première partie d'un travail en deux volumes permettant de comprendre les sentiments du héros Jacques, le double de Camus, envers la guerre d'Algérie. Ce n'est cependant pas ce qui transparaît dans Le premier homme qui se concentre sur l'enfance de Camus, la pauvreté de sa mère et de sa grand-mère, le rôle paternel de son instituteur et la division qui s'opère entre deux mondes qui s'opposent mais qui pourtant sont les siens: celui de sa famille et celui du lycée. 
On le comprend, il y a à la fois une parenté avec Annie Ernaux et avec Edouard Louis dans ce livre sauf que jamais on ne ressent ni mépris, ni jugement. L'auteur parle avec une immense tendresse de sa famille maternelle, de ces deux femmes qui l'ont élevé, même si sa grand-mère n'hésitait pas à user du bâton. Il avoue des moments de honte mais on sent bien que c'est finalement d'avoir eu honte qui le rend honteux. Hors contexte, certaines phrases comme celles-ci pourraient choquer: 
La mémoire des pauvres est déjà moins nourrie que celle des riches, elle a moins de repères dans l'espace puisqu'ils quittent rarement le lieu où ils vivent, moins de repères aussi dans le temps d'une vie uniforme et grise. 
Mais pas dans ce livre-ci car Albert Camus nous parle d'une femme, sa mère, qui est analphabète et  qui a de gros problème d'audition, ce qui limite considérablement les possibilités de loisir. Les moments les plus émouvants furent pour moi ceux qui tissent la relation entre l'instituteur et l'élève: 
"Tu as pleuré le dernier jour, tu te souviens? Depuis ce jour, ce livre t'appartient". Et il se détourna pour cacher ses yeux soudain rougis. 
D'ailleurs, sans aucune pudeur, Camus n'hésite à clamer son amour pour cet homme, figure paternelle par excellence, comme il le fait pour sa mère et dans un autre registre, pour des livres. A ce titre, le passage sur la bibliothèque est aussi émouvant:
P. et J. n'aimaient pas les compositions larges avec de grandes marges, où les auteurs et les lecteurs raffinés se complaisent, mais les pages pleines de petits caractères  courant le long des lignes étroitement justifiées, remplies à ras bord de mots et de phrases, comme ces énormes plats rustiques où l'on peut manger beaucoup et longtemps...

Publié en 1994 par Gallimard. 379 pages en Folio. 

Merci à Celle qui m'a offert ce livre et m'a même accompagnée pendant quelques pages de ce livre. 
A conseiller à tous ceux qui veulent comprendre d'où venait Camus. 

dimanche 7 janvier 2018

Mon bilan 2017 sur les rails et autres moyens de locomotion

Ne me demandez pas pourquoi j'ai eu envie cette année de publier mon récapitulatif envoyé par la SNCF. Peut-être que les études de mon fils (qui risque de passer sa vie à faire des statistiques, merci Canel) me contaminent et que je veux pouvoir comparer mon bilan avec les années à venir. J'ai  retenu de ce mail que le cadeau le plus offert à Noël reste le livre. 

Une autre manière d'avancer, à part monter dans un train, c'est d'enfiler ses baskets. Mon bilan running est aussi chaotique que le fut mon année mais je suis bien décidée à être plus régulière en 2018.

J'ai aussi avancé en nageant (mais sans statistiques car je papote trop pour compter mes longueurs) et en roulant, sans perdre un seul point sur mon permis cette année!



jeudi 4 janvier 2018

L'art de l'érotisme [beaux livres]

Il faut bien prendre le titre au pied de la lettre, il s'agit bien d'art dans ce superbe livre qui se découpe en trois parties: une courte introduction, de nombreuses représentations artistiques (tableaux mais aussi photos ou détails d'objets) et une explication assez détaillée de chaque oeuvre et de chaque artiste, lorsque celui-ci est connu. Selon les époques, les œuvres mettent en scène des nus, ce qui était en soi choquant il n'y a pas si longtemps, des moments de séduction ou des scènes amoureuses intimes, ce qui confère à l'ensemble une grande variété. J'ai beaucoup appris dans les explications, moi qui me contente souvent de ressentir une oeuvre plutôt que de la comprendre et d'en savoir davantage sur l'artiste. Il s'avère que c'est parfois une erreur, notamment quand on a affaire à des interprétations de mythes. Il faut dire que la religion et les mythes ont souvent servi de prétextes pour montrer la beauté de la nudité, les sirènes inspirant par exemple évidemment beaucoup les artistes. Il est aussi intéressant de noter, même si ce n'est bien sûr pas surprenant, que selon les périodes, les relations homosexuelles représentées sont soit masculines (Antiquité ou époque très moderne), soit presque exclusivement féminines (entre les deux). Une oeuvre d'Eric Gill, sculpteur britannique du début du XXe siècle illustre parfaitement la manière dont ce que l'on sait de l'artiste peut totalement changer notre façon d'appréhender son art, comme ça peut être le cas en littérature avec Céline par exemple. On apprend ici que la biographie publiée cinquante ans après la mort de l'artiste et qui le décrit comme un homme bestial ayant eu des relations incestueuses et adultérines a remis en question l'admiration qu'on pouvait éprouver pour lui. Comme vous le voyez, ce livre aborde des questions variées. Côté information people, j'y ai appris que La Cicciolina avait été la compagne et la muse de Jeff Koons. 
Voici un tout petit éventail de ce que vous trouverez dans ce superbe livre (à se faire offrir ou à offrir, vu le prix de 75 euros) publié aux éditions Phaïdon- 275 pages. Il y a des œuvres très connues exposées au Louvre ou au musée d'Orsay (L'origine du Monde y figure ainsi que plusieurs œuvres qui s'en sont inspirées).  On y retrouve Au lit : le baiser de Toulouse-Lautrec mais pas celui que je vous ai déjà présenté deux fois et Hylas et les Nymphes de Waterhouse que j'aime depuis longtemps. Je précise qu'il y a des nus masculins mais j'ai choisi pour vous : 

Le Pêcheur et la Sirène de Frederic Leighton -1856-58) avec une sirène fort entreprenante. 

La grande Odalisque d'Ingres (1814),  mentionnée cet été sur mon blog dans ma liste des œuvres d'art marquantes. 

Danaé de Klimt (et là, si vous ne connaissez pas la légende, comme c'était mon cas, vous passez à côté de la signification du tableau)


Le rêve de la femme du pêcheur d'Hokusai (oui, je sais, ça surprend, il semble que ces fantasmes à tentacules soient courants dans certains pays d'Asie)
 A conseiller à tous les amateurs d'art. C'est un beau cadeau à offrir à son amoureux/ amoureuse.
                                                                           

mardi 2 janvier 2018

Littoral de Wajdi Mouawad (théâtre)

Je suis sorti pour trouver un ailleurs, mais ce n'est pas évident quand vous avez le cœur sur les talons, qui est une expression stupide. J'ai cherché partout un ailleurs mais je n'ai rien trouvé : partout c'était toujours ici, et c'était crevant ! 

Wilfrid apprend la mort de son père alors qu'il est en train de partager un moment très charnel avec une jeune femme. C'est ce qu'il raconte au juge dans la première scène de cette pièce. Le père de Wilfrid était un immigré libanais et Wilfrid est bien décidé à l'enterrer dans son pays natal. C'est sans compter sur l'état du pays, qui n'a plus de place pour accueillir ceux qui l'ont fui. Commence donc un voyage initiatique sur les traces du père, à la recherche des racines. 

Disons-le d'emblée, j'adore le théâtre mais à part les pièces de Shakespeare et celles de Molière, que j'ai pris grand plaisir à lire à haute voix avec mon fils quand il les étudiait au collège, je n'arrive pas à apprécier les pièces que je lis. Comme cela faisait de très longues années que je n'avais pas tenté l'expérience et comme une amie a décidé de m'offrir Littoral, je m'y suis remise. Si j'ai apprécié les passages entre le père et le fils, j'ai eu les mêmes difficultés à entrer dans le texte qu'avant. Je pense que c'est parce que pour moi, le théâtre est avant tout une performance d'acteurs, là où d'autres s'attachent sans doute davantage aux mots. Mais la lecture m'a donné envie de voir cette pièce car j'ai beaucoup aimé certaines originalités scéniques, notamment le fait que des personnages se disputent parce qu'ils ne sont pas d'accord sur le lieu dans lequel ils se trouvent, ce qui provoque une tension dans l'espace très intéressante. Le thème central de la pièce est la peur d'adulte, un sujet assez finement traité et qui tourne autour de la mort, celle des parents surtout:
Je ne sais même plus qui je suis. Comment veux-tu que je sache ce qui me fait mal. Quand tu es petit, c'est pas difficile, tous les enfants ont peur de la sorcière ou du monstre de l'espace sidéral. Mais maintenant? qu'est-ce qui me fait mal? J'ai mal et c'est tout. Et tout le monde a mal, et tout le monde s'en fout. 
Oedipe, Hamlet et L'idiot sont les trois références de Madji Mouawad pour cette pièce. Même si je restée un peu à l'écart, il y a des répliques que j'ai trouvées très belles par leur simplicité parfois:
... je crois bien que je suis née. Je veux dire par là que, prenant de plus en plus conscience que tu es là, je prends conscience aussi que je suis là. 
J'ai trouvé  les explications de la postface qui expliquent l'évolution de cette oeuvre passionnantes, comment elle a été raccourcie pour ne faire plus que deux heures et demi alors qu'elle en faisait quatre, cette comparaison entre une pièce et des Lego, et aussi cette idée centrale de la scission quantique de l'existence: que serait devenu l'auteur s'il n'avait pas quitté le Liban? 

Publié en 1999, puis en 2009. 190 pages.

Merci à Celle qui m'a offert ce livre, c'était bien de retenter l'expérience de la lecture d'une pièce. 
A conseiller à ceux qui aiment les quêtes d'identité théâtrales. 


Moi par (six) mois

En juillet, je publiais ici le résumé des six premiers mois de mon année. Il fallait bien une suite, la voici donc. Une suite, mais aussi ...