...au lieu de la joie du succès, une immense peine d'enfant lui tordait le cœur, comme s'il savait d'avance qu'il venait par ce succès d'être arraché au monde innocent et chaleureux des pauvres, monde refermé sur lui-même comme une île dans la société mais où la misère tient lieu de famille et de solidarité, pour être jeté dans un monde inconnu qui n'était plus le sien...
Une fois n'est pas coutume, je vais commencer par parler de l'histoire de ce livre avant de le résumer. Retrouvé près d'Albert Camus le jour de sa mort accidentelle, ce livre inachevé et dont certains mots n'étaient pas lisibles (ce qui est signalé) constitue la première partie d'un travail en deux volumes permettant de comprendre les sentiments du héros Jacques, le double de Camus, envers la guerre d'Algérie. Ce n'est cependant pas ce qui transparaît dans Le premier homme qui se concentre sur l'enfance de Camus, la pauvreté de sa mère et de sa grand-mère, le rôle paternel de son instituteur et la division qui s'opère entre deux mondes qui s'opposent mais qui pourtant sont les siens: celui de sa famille et celui du lycée.
On le comprend, il y a à la fois une parenté avec Annie Ernaux et avec Edouard Louis dans ce livre sauf que jamais on ne ressent ni mépris, ni jugement. L'auteur parle avec une immense tendresse de sa famille maternelle, de ces deux femmes qui l'ont élevé, même si sa grand-mère n'hésitait pas à user du bâton. Il avoue des moments de honte mais on sent bien que c'est finalement d'avoir eu honte qui le rend honteux. Hors contexte, certaines phrases comme celles-ci pourraient choquer:
La mémoire des pauvres est déjà moins nourrie que celle des riches, elle a moins de repères dans l'espace puisqu'ils quittent rarement le lieu où ils vivent, moins de repères aussi dans le temps d'une vie uniforme et grise.
Mais pas dans ce livre-ci car Albert Camus nous parle d'une femme, sa mère, qui est analphabète et qui a de gros problème d'audition, ce qui limite considérablement les possibilités de loisir. Les moments les plus émouvants furent pour moi ceux qui tissent la relation entre l'instituteur et l'élève:
"Tu as pleuré le dernier jour, tu te souviens? Depuis ce jour, ce livre t'appartient". Et il se détourna pour cacher ses yeux soudain rougis.
D'ailleurs, sans aucune pudeur, Camus n'hésite à clamer son amour pour cet homme, figure paternelle par excellence, comme il le fait pour sa mère et dans un autre registre, pour des livres. A ce titre, le passage sur la bibliothèque est aussi émouvant:
P. et J. n'aimaient pas les compositions larges avec de grandes marges, où les auteurs et les lecteurs raffinés se complaisent, mais les pages pleines de petits caractères courant le long des lignes étroitement justifiées, remplies à ras bord de mots et de phrases, comme ces énormes plats rustiques où l'on peut manger beaucoup et longtemps...
Publié en 1994 par Gallimard. 379 pages en Folio.
Merci à Celle qui m'a offert ce livre et m'a même accompagnée pendant quelques pages de ce livre.
A conseiller à tous ceux qui veulent comprendre d'où venait Camus.
Jusqu'à présent, je n'ai lu de lui que l'Étranger. J'ai envie d'essayer de lire un ou deux titres de plus avant de me pencher sur sa vie. Mieux connaître les auteurs changent parfois un peu le regard que l'on porte sur leur oeuvre et je voudrais rester « vierge » pour découvrir ces célèbres textes que sont La peste et La chute.
RépondreSupprimerLes quelques citations que tu as choisies sont d'une grande intensité. L'écriture de Camus m'avait énormément marquée lors de ma lecture de l'Étranger. Chaque mot semble minutieusement pesé et choisi.
Je crois que pour moi, c'était le moment de me pencher sur la vie de cet homme que j'admire depuis l'adolescence. Une bonne fée a en tout cas décidé que ça l'était.
SupprimerJe viens de lire "L'état de siège" qui m'a donné envie de relire plus cet auteur !
RépondreSupprimerComme j'ai décidé de lire un Camus pas mois (comme Duras) cette année, je le note.
Supprimerun livre qui est dans ma bibliothèque et que je lirai un de ces jours, je me régale à l'avance et du coup je peine à l'entamer me réservant un plaisir fort pour un jour où rien ne va
RépondreSupprimerTu as bien raison.
SupprimerUne lecture passionnante dans laquelle j'ai senti les fêlures de l'homme.
RépondreSupprimerJe ne pourrais pas dire que j'ai senti ses fêlures parce que je crois justement avoir senti l'équilibre qu'il s'est construit face à son destin étonnant.
SupprimerEntre nous, je préfère de très loin Annie Ernaux à Edouard Louis...
RépondreSupprimerDois-je te dire à quel point je suis d'accord? Je crois que toute la blogosphère se souvient de mes coups de gueule contre Edouard Louis!
SupprimerC'est un livre magnifique, oui. Une fois fini, on se demande l'œuvre majeure qu'il en aurait fait s'il en avait eu le temps. Je suis plongée dans sa correspondance avec Maria Casarès.
RépondreSupprimerBonne soirée.
Absolument! Sans doute une grande oeuvre qui aurait été bien différente de ce que j'ai lu.
SupprimerJ'ai acheté plein de livre de camus dont celui-là. Je crois qu'il l'ont adapté d'ailleurs... Je me rappelle d'un cours que j'avais eu en seconde, d'un prof génial qui en parlait ! J'ai bien envie de le lire
RépondreSupprimerC'est sans doute le moment alors!
SupprimerJe vais me remettre à Camus, intensément.
Je n'ai jamais lu Camus (même au lycée, on passait à côté je crois), par quoi commencer?
RépondreSupprimerLe premier conseil de mon avis (qui a fait sa maîtrise sur le théâtre de Camus) fut ce livre-ci, bien qu'inachevé. Je n'ai lu que trois livres de Camus pour l'instant, mais je pencherais pour La peste, que j'ai lu trois fois. Si tu préfères découvrir l'homme, c'est celui-ci qu'il te faut.
SupprimerJe l'ai lu il y a quelques années et je l'avais trouvé également très intéressant pour mieux comprendre l'oeuvre de Camus.
RépondreSupprimerIl me reste à m'y plonger vraiment, dans cette oeuvre.
SupprimerOK noté, il est à la bibli d'ailleurs
RépondreSupprimerLa peste ou Le premier homme?
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