Les cœurs qui ont été brisés redoutent l'amour parce qu'il porte sa fin. Ils craignent de ne plus pouvoir endurer ce coup supplémentaire, l'arrachement et la terre brûlée.
Quand le roman débute, l'ombre d'Hitler ne plane pas encore sur la France. Robert Desnos est un poète fauché, amoureux d'une chanteuse qui, elle, ne l'aime pas mais se complaît à garder ses prétendants sous son emprise, en leur donnant du bout des lèvres quelques marques de tendresse. Robert rencontre alors Youki, une française repérée par un peintre japonais qui l'a épousée. Elle deviendra l'amour de sa vie, un amour tumultueux puisque la belle ne peut se contenter d'un seul homme. Mais Robert sait donner bien plus qu'il ne reçoit:
Je n'ai jamais séparé le sexe de l'amour, rétorque Robert. Je n'en discute pas, je le vis, je le fais. Je suis allé si loin dans l'amour que j'ai pensé ne jamais en revenir. J'ai affronté ses grimaces. Aujourd'hui, j'en connais aussi son sourire.
Disons le tout de suite, ce roman, je ne voulais pas le lire. J'avais abandonné le précédent roman de Gaëlle Nohant, je n'aime ni la poésie (sauf celle, intime, qu'on écrit ou reçoit à/de son amoureux/ -se), ni le surréalisme. De plus, je ne connaissais rien de Desnos. Mais Gaëlle Nohant nous donne accès à un homme, nous le rend à la fois humain par sa vulnérabilité amoureuse, magicien par sa manière de réinventer la poésie et héros quand la période oblige les hommes à choisir un camp. Et elle nous embarque dans la période qui précède la guerre puis dans celle de la guerre et de la résistance avec talent: j'ai vécu pendant de longues heures dans le Paris de cette époque et j'y ai cru. Tout sonne juste, particulièrement les dialogues. Je me suis agacée de voir le poète amoureux de deux femmes qui ne savent pas lui rendre son amour comme il le mériterait et ai vu là, à tort peut-être, le désir inconscient d'un poète qui a besoin de la souffrance pour écrire; je me suis aussi agacée de l'égocentrisme de Youki (... c'est effrayant quelqu'un qui sait aimer. Alors elle lui fait mal pour voir s'il reste quand-même) mais c'est aussi ce qui rend Robert Desnos humain et attachant. Suivre la scission à l'intérieur du groupe surréaliste m'a passionnée. J'ai noté de nombreuses phrases et ai été emballée par le tout: l'ascension de Robert Desnos qui réinvente la radio ou plutôt l'invente puisqu'elle n'en est qu'à ses balbutiements, le souffle de la solidarité, celle d'avant la guerre avec les manifestations anti-fascisme et celles des hommes de l'ombre ensuite. J'ai beaucoup aimé que l'auteur parsème son roman de textes de Desnos, les ancrant dans sa réalité à lui. C'est une très belle manière d'amener la lectrice que je suis vers la poésie:
Je retrouve en ma bouche une ancienne saveur
Et des noms de jadis et des baisers si tendres
Que je ne sais plus qui je suis ni si mon cœur
Bat dans le sûr présent ou le passé des cendres.
Aux trois quarts du roman, l'émotion m'a submergée. Ça a commencé avec un très beau moment entre Robert Desnos et Jacques, cet enfant d'amis qui vivra ses premières années caché, petit garçon rendu sauvage par cette peur que l'Histoire a instillé en lui mais que Desnos saura apprivoiser avec ses histoires, puis viennent les émouvantes années de résistance et celles de déportation racontées par le prisme de Youki que l'auteure réhabilite magnifiquement. A ce jour, j'ai lu dix romans de la rentrée, j'ai eu deux coups de cœur mais je mets ce roman au dessus de tous les autres. Je suis prête à prendre le pari que ce roman-ci obtiendra un prix (sans doute un prix de lecteurs).
Publié le 17 août 2017 chez Héloïse d'Ormesson. 520 pages.
Merci à lecteurs.com sans qui je n'aurais pas lu ce roman.
A conseiller à ceux qui veulent davantage découvrir Robert Desnos et à ceux qui, a priori, n'en ont aucune envie.
J'ai toujours trouvé le destin de Robert Desnos extrêmement triste, mais je n'en sais guère plus sur sa vie. Ce livre peut donc m'intéresser (et je te vois rarement aussi enthousiasmée).
RépondreSupprimerJe trouve que ce roman nous montre que la vie de Desnos s'est effectivement achevé d'une manière dramatique (quoiqu'il y ait aussi une certaine beauté dans cette fin, même si c'est affreux à dire) mais qu'il a vécu de grands moments de bonheur, autant affectivement que professionnellement.
SupprimerBon, là, tu me convaincs (mais pas au point de l'acheter, ^_^, il sera bien en bibli un jour)(enfin, peut être)
RépondreSupprimerTu vas le regretter, quand tu l'auras lu, tu voudras le garder. ;-)
SupprimerTu le conseilles à tout le monde, donc ! Noté, mais pas pour tout de suite...
RépondreSupprimerAbsolument à tout le monde. Et je le fais aussi de vive voix, le conseiller à tout le monde.
SupprimerTout le monde en parle et en bien. Le départ c'est comme toi, Desnos ne m'intéresse pas, la poésie encore moins, et l'auteur ,La Part des Flammes je connais 2 personnes qui l'ont trouvé bof... On verra, may be one day !
RépondreSupprimerLa part des flammes est à mon avis destiné à un lectorat particulier, dont je ne fais pas partie. Mais je ne dirais jamais qu'il est "bof". Celui-ci est très différent.
SupprimerTu me le mets de côté ?
RépondreSupprimerBelle journée
IL est depuis hier entre les mains d'une de tes collègues, mais tu es la prochaine. Belle journée à toi aussi (enfin celle d'hier était beaucoup plus belle)!
SupprimerJ'adore la façon don tu racontes le cheminement de ce roman dans ton quotidien de lectrice. D'abord aucune envie de s'y plonger puis un début d'intérêt, ensuite des moments de grâce et au final un coup de cœur. C'est tellement rare finalement.
RépondreSupprimerC'est vrai, mais finalement, n'est-ce pas un peu comme toutes les rencontres? Parfois ça commence doucement, on vit des instants de grâce et ça devient un coup de cœur. ;-)
SupprimerTu achèves de me convaincre, il me le faut !!!
RépondreSupprimerMon petit doigt me dit que tu vas beaucoup l'aimer, Noukette!
SupprimerDans le monde des blogueuses vous mérite une place de choix. Bravo pour la variété et la tenue de vos billets. Et Gaelle Nohant démarre en force la rentrée littéraire...beaucoup de chroniques élogieuses.
RépondreSupprimerMerci beaucoup pour ce commentaire qui me touche.
SupprimerJe souhaite à ce roman et à son auteure de trouver à la fois son lectorat (mais ça, j'en doute peu) mais aussi d'être justement récompensé (le fait que Mme Macron ait choisi de le mettre sur son bureau dans son interview pour Elle est un beau signe de reconnaissance, et la preuve qu'elle a bon goût).
Bravo pour ce très joli billet qui me donne envie de poursuivre la découverte de votre blog. à très bientôt donc.
RépondreSupprimerMerci Cathulu. En fait, nous nous connaissons déjà (par blogs interposés) mais avec mon ancien blog. Je suis ravie de voir que nos avis se rejoignent sur ce roman.
Supprimerta critique me plaît donc je le note :-)
RépondreSupprimerMerci de ta confiance.
SupprimerEt bien, il semble que le dernier titre de cette auteure que j'aime beaucoup fasse l'unanimité... je n'avais de toutes façons pas l'intention de passer à côté, et c'est en effet l'occasion de découvrir un peu Desnos, que je connais très mal.
RépondreSupprimerGaëlle Nohant l'aime tellement que le lecteur ne peut que l'aimer à son tour.
SupprimerIl me fait très envie ! De plus je n'ai pas lu cet auteur encore ... !
RépondreSupprimerC'est le roman idéal pour découvrir à la fois l'auteure et Desnos.
SupprimerC'est ma prochaine lecture, alors tu te doutes que ton billet me donne encore plus envie d'ouvrir ce roman ! :)
RépondreSupprimer(J'aime beaucoup la poésie de Desnos, mais je connais mal l'homme derrière.)
je me doute surtout que tu vas l'adorer. ;-) Je le conseille à toutes mes amies prof de lettres.
SupprimerVoilà un large choix de lecteurs possibles.
RépondreSupprimerExactement. :)
SupprimerRobert Desnos est un homme de bien et j'aime sa poésie , je retiens donc cette biographie
RépondreSupprimerC'est une roman, pas une biographie, parce qu'il y a une vraie plume et une plongée dans les pensées des uns et des autres. Mais c'est très fouillé.
SupprimerAh celui-là, je suis certaine de le lire !Desnos, il m'évoque des souvenirs de poésie à l'école, il y a longtemps. Je suis curieuse de découvrir qui il était.
RépondreSupprimerTu risques d'être surprise par la richesse intérieure de cet homme. Il se peut même que tu en tombes un peu amoureuse. ;-)
SupprimerJ'ai eu l'occasion de le lire puis je l'ai reposé pour en choisir un autre. Je pensais qu'il n'était pas pour moi. J'ai toujours un doute mais je vais peut-être lui donner une chance tout de même.
RépondreSupprimerJe pense que tu peux lui donner une chance. Si je n'avais pas été un peu obligée de le lire, je ne l'aurais pas choisi non plus et j'aurais vraiment raté une excellente lecture!
SupprimerJe pense acheter ce titre pour le CDI ;) ! S'il ne plaît pas aux lycéens, il plaira aux collègues (de lettres notamment). Et je le lirai bien sûr.
RépondreSupprimerCurieuse de connaître ton 2e coup de cœur de la rentrée.
Effectivement, belles lectures choisies par Mme Macron : sur la photo, j'ai également noté qu'il y avait le nouveau roman de Julie Wolkenstein que j'adore et si je ne me trompe pas, je crois reconnaître l'ouvrage de François-Henri Désérable : "Un Certain M. Piekielny".
Je n'aime pas tout ce qu'écrit Wolkenstein mais j'avais mis 20 à Adèle et moi pour le Prix Elle (bon je l'avais un peu surnoté pour qu'il passe les pré-sélections mais ça n'a pas suffi). Alors son prochain est sur ma liste.
SupprimerTu refais le prix Elle des lycéennes?
Non, je ne refais pas cette année le prix Elle des lycéennes (peut-être l'année prochaine) mais je vais le suivre de près !
SupprimerJ'ai un peu peur du premier roman séletionné par les adultes. ;-)
SupprimerJe le lirai certainement... Indubitablement, un des romans phares de cette rentrée on dirait !!
RépondreSupprimerJ'aimerais qu'un peu plus haut que les blogs, on s'en rende compte aussi.
SupprimerSuper billet, tu m'as convaincue alors que j'avais moi aussi abandonné son précédent et que le buzz montant autour de ce roman m'en détournait encore plus. Mais ce que tu en dis est irrésistible,je le VEUX maintenant :)
RépondreSupprimerRien ne peut me faire plus plaisir que ce genre de messages, Cuné! Je ne pense pas que ce soit à proprement parler du buzz (mais je comprends ce que tu veux dire, je pense que je n'aurais pas eu envie de le lire après tous ces billets élogieux, ça me parait toujours un peu suspect) mais je pense que c'est le genre de roman que tu veux défendre bec et ongle.
SupprimerPar contre, bien sûr, il y aura des déçus, c'est inévitable (j'ai vu un avis négatif sur Babélio). J'espère qu'il y aura peu de lecteurs de ce billet déçus.
J'aime beaucoup les poèmes de Robert Desnos, un poète apprécié dès l'enfance avec Chantefleurs Chantefables, et ce titre a donc tout pour m'intéresser, je le note illico.
RépondreSupprimerIl va te plaire, alors, je n'ai aucun doute.
SupprimerJ'ai été très touchée par la figure de Desnos que l'auteure restitue avec beaucoup de vie dans ce livre. Un coup de coeur pour moi aussi.
RépondreSupprimer