Ça flotte entre eux, ça devient lâche, moins immédiat, le regard s'effrite, se dilue dans une zone invisible à l'autre, ils sont comme démagnétisés, ils dérivent, chacun emporté dans l'irrépressible courant de sa vie professionnelle, sans plus de force pour se baigner ensemble dans la même rivière, devenant béants l'un face à l'autre.
Thomas attend sa femme, Camille, pour fêter leur anniversaire de mariage. Elle l'appelle pour lui dire qu'elle n'arrivera que le lendemain. Il s'inquiète un peu, ça fait plusieurs vendredis qu'elle trouve des prétextes pour rentrer le samedi, alors que son travail l'oblige déjà à s'absenter de la maison toute la semaine. Dans la nuit, il reçoit un appel lui annonçant que sa femme est à l'hôpital de Bolbec, en Normandie. Il s'y rend sur le champ, pour découvrir qu'elle a été transportée à Rouen, à cause de la gravité de ses blessures. Le voilà donc reparti sur les routes et c'est le début d'un long périple en Normandie pour tenter de comprendre ce que sa femme faisait à trois heures du matin sur une petite route de campagne qui ne mène pas à Paris et comment elle a pu perdre le contrôle de son véhicule alors qu'elle était seule sur cette ligne droite.
Ouch! Parler de ce roman foisonnant va être très ardu parce qu'il est parfois des romans qu'on lit avec ses tripes, qui ont tout à voir avec l'affect et pas avec les raisons qui font que nous aimons, d'habitude, la littérature. Précisons d'abord que je n'avais pas autant pleuré pendant une lecture depuis D'autres vies que la mienne d'Emmanuel Carrère. Mais heureusement, on ne compte pas la réussite d'un roman à la quantité de larmes versées. Ce roman se divise en fait en trois parties reliées par l'histoire de Thomas, qui me semblent distinctes mais qui tracent un parcours. La première partie m'a bouleversée. Elle traite de l'incompréhension face à un être qu'on a aimé et qu'on ne reconnaît plus, qui a caché un pan entier de son passé et du manque car Camille est d'abord murée dans son coma, puis dans le silence. Luc Lang s'approche au plus près de la réalité, ne donnant pas les réponses que la vie, souvent, n'apporte pas. Thomas est un être profondément seul, qui vit le nez dans sa carrière, une carrière dont le tracé est profondément modifié après l'accident de sa femme, car accident ou pas, il faut du rendement. Je suppose qu'on peut le trouver antipathique, je l'ai trouvé touchant; j'ai compatis à sa douleur et à sa solitude, une solitude qui est peut dictée par des événements qu'on lui a cachés dans son enfance, et dont le lecteur comprend assez vite la teneur. La second partie se centre sur la relation entre Thomas et son frère Jean qui vit dans les montagnes, à l'opposé de Thomas. Jean, emmuré dans son secret, comme le fut Camille, et dans ses accès de tétanie, Jean qui ne supporte pas d'être dans la même pièce que sa mère. C'est aussi ce qui m'a rendu Thomas sympathique, le fait que personne ne lui a fait suffisamment confiance pour partager avec lui leur fardeau. C'est pour moi le fondement de sa solitude. La troisième partie se passe en Afrique, où Thomas part retrouver sa sœur Pauline qu'il n'a pas vue depuis très longtemps puisqu'elle refuse de rentrer en France. Ce roman n'est pas sans défauts: je n'ai pas compris l'absence de points à la fin de certaines phrases, il est plein de bons sentiments puisque Thomas marche vers la rédemption et il a recours à un secret qui devient de moins en moins secret pour le lecteur tant ce genre de secret est rabattu. Quand j'ai refermé ce roman, je ne savais pas si je l'avais aimé. Je ne suis pas sûre de le savoir trois semaines après ma lecture mais les personnages ne me lâchent pas et je n'ai pas encore l'impression d'avoir quitté le texte. C'est peut-être un peu trop foisonnant et la troisième partie n'est pas à la hauteur du reste mais ce dont je suis sûre, c'est que je tiens là mon roman préféré pour le Grand Prix des Lectrices de Elle, sauf si le dernier roman en lice est une excellente surprise. C'était un coup de cœur pour Joëlle (j'ai hésité à en faire un coup de cœur, mais je crois que la lecture a été trop douloureuse pour que ça le soit vraiment).
Publié chez Stock en août 2016- 526 pages.
Un grand merci au jury de mars du Prix des lectrices de Elle (j'avais repéré ce titre dans leur pré-sélection et j'espérais qu'elles le choisiraient).
A conseiller à ... me voilà bien embêtée. Ce roman ne plaira pas à tout le monde et je ne sais pas pourquoi, je le conseillerais plutôt à des femmes, ce qui en fait le roman idéal pour emporter le prix Elle.
C'est chouette de te lire aussi enthousiaste !
RépondreSupprimer(et de constater que tu sais clairement dire pourquoi, ce qui n'est pas toujours évident avec un coup de cœur)
J'ai souvent plus de mal à expliquer pourquoi je n'aime pas en fait.
SupprimerJe n'arrive pas à savoir si je suis tentée, mais je crois que je vais beaucoup le croiser sur les blogs, d'après ce que tu en écris, la curiosité risque de me faire craquer.
RépondreSupprimerIl est sorti en septembre et on l'a finalement assez peu vu sur les blogs alors qu'il était sur les listes de prix. Peut-être est-il trop long.
SupprimerUne jurée conquise par ce roman, alors.
RépondreSupprimerJ'espère ne pas être la seule.
SupprimerDu coup je suis très curieuse de le lire, vu ce que ce roman a provoqué chez toi...!
RépondreSupprimerC'est très personnel, je ne sais pas ce qu'il peut provoquer chez les autres (mais je te souhaite moins de larmes tout de même).
SupprimerTu donnes sacrément envie de le lire. J'espère qu'il croisera ma route. Je n'oublierai pas de faire une provision de Kleenex avant.
RépondreSupprimerC'est sans doute très personnel, cet afflux de larmes à la lecture de ce roman. Je suis curieuse de savoir si c'est partagé par d'autres lectrices.
SupprimerIl est venu en janvier à l'Armitière et m'a donné très envie de découvrir son roman. Il ne faut pas que je le perde de vue.
RépondreSupprimerIl a l'air de très bien connaitre la région et je trouve qu'il rend un bel hommage à Rouen.
SupprimerIl a l'air bien ce livre, tu nous interpelles avec brio. On n'en a pas vraiment entendu parler de ce livre là. je crois que je le lote dans ma wish list !
RépondreSupprimerMerci! C'est vrai qu'il est passé plutôt inaperçu sur les blogs. Je me demande si ce n'est pas le sort des romans de plus de 500 pages.
SupprimerC'est vrai que ce n'est pas la tendance les pavés, mais franchement, quand c'est top, ce n'est pas un souci !
SupprimerCoucou ! Je lis ton avis très en diagonale car je vais le lire bientôt, pour ne pas être trop influencée :) je reviendrai te lire après !
RépondreSupprimerEt je viendrai lire le tien.
SupprimerCe roman a l'air de t'avoir beaucoup touchée :)
RépondreSupprimerJe l'ai lu en septembre dernier, je me souviens d'une écriture très lourde, difficile d'accès. Je me souviens d'une histoire familiale poignante, et j'ai beaucoup aimé la partie se déroulant en Afrique :)
Je ne dirais pas que l'écriture est lourde mais je comprends qu'on puisse le trouver difficile d'accès, même si pour moi, il ne l'est pas du tout.
SupprimerCe que tu en dis me tente beaucoup !
RépondreSupprimerTu m'en vois ravie!
SupprimerJ'aime beaucoup la manière dont tu parles de ce roman. Ce qu'il a provoqué aussi. Ce qu'il vient titiller au niveau du lecteur. Je note ;)
RépondreSupprimerIl a provoqué un petit tremblement de terre, ou il a accompagné celui qui existait déjà. ;-)
Supprimer" Précisons d'abord que je n'avais pas autant pleuré pendant une lecture depuis D'autres vies que la mienne d'Emmanuel Carrère", cette phrase me parle beaucoup parce que j'ai aussi pleuré lors de ma lecture...
RépondreSupprimerPfiou, j'ai des frissons rien qu'à y repenser. J'aimerais voir si ce livre me ferait le même effet.
Merci pour ce billet!
Merci à toi, Fanny. Et bonne lecture!
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