jeudi 27 septembre 2018

Leurs enfants après eux de Nicolas Mathieu

L'éducation est un grand mot, on peut le mettre dans des livres et des circulaires. En réalité, tout le monde fait ce qu'il peut. Qu'on se saigne ou qu'on s'en foute, le résultat recèle toujours sa part de mystère.

Ils s'appellent Anthony, Hacine, Steph et Clémence, tous adolescents au début des années quatre-vingt dix en Lorraine, dans ces villages qui se finissent presque tous en -ange, ceux qui ont décliné avec la fermeture des hauts-fourneaux. Les filles viennent de milieux plus aisés que les garçons et elles ne rêvent pourtant que d'une chose, quitter la petite vie minable de leurs parents. Pendant quatre étés, les pas des uns et des autres vont se croiser.
Je crois que c'est la première fois que je lis un roman sur le thème de l'adolescence dans cette région française, d'ailleurs sans doute transposable à d'autres. On y sent la désillusion des immigrants venus d'Afrique du Nord et de leur descendance et la vacuité des journées dans ces endroits où il  n'y a pas grand chose à faire pour un ado, surtout s'il n'a pas d'argent. On comprend comment on se fourre vite dans le pétrin à vouloir jouer les kékés pour épater les filles parce que finalement, tout commence toujours un peu comme ça. Entre les garçons, tout n'est qu'une éternelle histoire de rivalité qui ne s'efface jamais vraiment. Les filles, elles, rêvent de trouver le grand amour mais elles ne tombent évidemment sous le charme que de ceux qui ne les aimeront jamais, l'inverse est d'ailleurs vrai aussi. Mais contrairement aux garçons, peut-être grâce à leurs origines sociales plus favorisées, elles ont compris l'essentiel : pour se faire une vraie place au soleil et pour quitter ce trou, il faudra étudier, réviser pendant des heures, écourter les nuits. Je me suis incroyablement attachée à ces quatre ados, sans doute plus aux deux garçons qu'aux filles même si un personnage féminin secondaire, Vanessa,  m'a beaucoup plu. Il y a de la tendresse dans la manière de décrire ces familles, ces parents paumés qui tentent de faire de leur mieux. Et puis, il y a ces dizaines de phrases qui m'ont saisie par leur justesse et leur force. 
L'alcool, à force, devient un organe parmi d'autres, pas moins indispensable. Il est là au-dedans, très profond, intime, utile à la marche des affaires, comme le cœur, un rein, vos intestins. En finir, c'est s'amputer. 
D'autres m'ont fait éclater de rire. J'aurais envie de vous en citer davantage mais je préfère que vous les découvriez vous-même. 
Je ne manquerai pas de relire l'auteur et je souhaite bonne chance à ce roman dans la course aux prix. Encore une fois, j'ai hâte de voir ce que m'en diront les élèves. Il est sexuellement très explicite ; je trouve qu'il est assez difficile de réussir des scènes sexuelles, or Nicolas Mathieu y parvient très bien. Il montre aussi comment, dans ce genre de relations où tout le monde semble d'accord, l'un des deux  ne peut s'empêcher de s'attacher, comme s'il n'y avait d'autres solutions que de vivre en déséquilibre permanent. Si ce roman met en scène des ados, l'adulte que je suis s'est souvent reconnue dans des passages et c'est à mon avis l'une des forces de ce roman. Et puis, si je puis me permettre d'émettre ce genre d'avis, il faut que Nicolas Mathieu garde sa conseillère en sexualité féminine ; pour un homme, il se met très bien dans la tête des femmes, allant parfois contre certaines idées reçues. 

Publié en août 2018 chez Actes Sud - 426 pages. 

A conseiller aux ados et aux parents.
Merci au jury du Prix Goncourt d'avoir eu le bon goût de le sélectionner. 

                                                               

20 commentaires:

  1. On en parle beaucoup de ce roman ; pour le moment, il ne me tente guère.

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    1. C'est ce qu'on me dit en effet, qu'on en parle. Je ne l'ai pas vu sur les blogs et je ne le lis, ni n'écoute les critiques presse.

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  2. Je l'ai réservé à la bibliothèque... je n'en lis que du bien ! ;-)

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  3. L'auteur devrait garder sa conseillère sexuelle ?

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    1. :)
      J'ai parfois eu l'impression qu'il était dans ma tête, c'était déstabilisant ;-).

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  4. J'ai vraiment envie de découvrir ce livre qui parle un peu de ma génération. Si la Normandie ne ressemble pas à la Lorraine, il y a des similitudes entres toutes les campagnes profondes...

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    1. Tu as raison, j'ai oublié de noter l'aspect générationnel important. Ils sont plus jeunes que moi mais j'ai connu la période qu'ils traversent et ça a aussi contribué à mon plaisir de lecture. Pourtant, je pense que mes jeunes lecteurs peuvent aimer parce que c'est à la fois marqué dans le temps et toujours d'actualité.

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  5. Je crois que je vais me l'offrir!

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    1. Do it ! On n'est jamais aussi bien servi que par soi-même.

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  6. J'ai beaucoup aimé le premier titre de cet auteur, j'ai bien sûr l'intention de lire celui-ci, je n'ai lu que des avis positifs à son sujet !

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  7. Je ne suis ni ado ni parent mais tu me donnes envie d elire ce roman :-)

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    1. Tu m'en vois ravie et je pense qu'il n'est pas spécialement pour les parents (d'ailleurs il est peut-être très déprimant pour les parents) ou les ados.

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  8. J'ai vraiment hâte de le lire, plus encore maintenant avec ton billet. Du coup je te conseille Aux animaux la guerre, que j'ai lu et aimé, il y a quelques mois et qui est en cours d'adaptation pour la télévision. J'espère aussi qu'il recevra un prix :)

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  9. Je suis en plein dedans et j'adore ! L'écriture est magnifique, tout ce que j'aime. Par contre je ne ressens pas la tendresse envers les personnages, je trouve que le regard porté sur eux, sans être méprisant, est parfois à la limite du cliché. Peu importe, il me reste 150 pages et je suis presque certain d'en faire un coup de coeur ;)

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  10. monpetitchapitre8 octobre 2018 à 15:21

    Alors lui, c'est sûr je vais le lire. Mais je vais attendre un peu, pour le savourer tranquillement, parce qu'on en entend beaucoup parler. Ce qui est bien hein, quand il s'agit d'un bon livre, autant le faire savoir. Mais j'ai besoin que tout cela s'apaise pour l'aborder. J'avais beaucoup aimé son premier, assez dur, mais déjà très prometteur.

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  11. j'aime bien ta dernière phrase ;) J'hésite toujours pour ce roman parce que j'en lis beaucoup sur les ados en ce moment.

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