jeudi 19 avril 2018

La mise à nue de Jean-Philippe Blondel (RL janvier n°10)

Je l'ai eu en cinquième. T'as eu de la chance de ne pas avoir la mère Aumont. C'est ainsi que nous nous définissons, eux et nous. Nous nous appartenons pendant quelques mois. Puis, nous nous redonnons notre liberté. 

Louis s'approche à grand pas de la soixantaine. Divorcé, père de deux grandes filles avec qui il communique surtout à distance, il est un peu perdu. Même son métier, qui semble l'avoir pourtant passionné, ne parvient plus à enrichir ses journées. Lorsqu'il reçoit un carton d'invitation pour le vernissage de l'un de ses anciens élèves, il pense d'abord ne pas y aller, puis se dit que cela lui fera une occasion de sortir et de manger gratuitement. Revoir Alexandre va bouleverser son quotidien. Le jeune homme souhaite faire son portrait. 
Que peuvent bien se confier un ancien élève et son ex-professeur, une fois émises les banalités d'usage sur leurs carrières respectives et sur l'eau, qui, évidemment, a coulé sous les ponts et creusé des rigoles sur les visages?
J'avais lu deux romans de Blondel avant celui-ci. L'un qui parlait de sa salle de classe et qui ressemblait trop à mon quotidien pour me passionner et l'autre, Un hiver à Paris, qui évoquait l'enfer que peuvent être les classes prépa et qui m'avait touchée. Jean-Philippe Blondel et moi avons un point commun, nous enseignons tous les deux l'anglais. J'ai l'impression que nous avons aussi une conception de notre métier qui se ressemble. J'ai beaucoup aimé la première moitié de ce roman qui porte essentiellement sur les liens entre un enseignant et ses élèves, ou ses anciens élèves, qui dissèque ce lien, révèle les différences entre ce que perçoivent l'élève et l'enseignant. Il se trouve que j'ai lu ce roman au cours d'une semaine où j'ai reçu de la part de mes élèves, ou des parents de mes élèves, plus de preuves de la force du lien qui nous lie que je ne peux parfois en avoir en une année. Je ne pouvais donc qu'être touchée. Parfois, on se rend compte de l'importance qu'on prend dans la vie de ceux avec qui on passe tant de temps.  Et il y a ceux qui ne montrent rien. Alexandre est de ceux-là. Savoir qu'il allait passer du temps avec Louis lui a permis de se lever et d'aller en cours et Louis n'en a jamais rien su. Il va découvrir, dans l'adulte qu'il a devant lui, un être à la fois ressemblant et différent de l'ado assis dans sa classe:
C'est après le lycée qu'ils prennent leur envol. Forment leur alliances. Montent, descendent, stagnent. Mais alors, généralement, on ne peut plus leur venir en aide, parce qu'ils ne nous adressent plus aucun signe. On ne fait que les accompagner pendant un très court laps de temps. 
Louis et Alexandre se retrouvent quand ils sont chacun à des moments importants de leurs vies, un peu perdus, l'un sur une pente descendante, l'autre sur une pente ascendante. Qui des deux va le plus profiter de ces retrouvailles? Difficile de le savoir, entre ce prof presque au rebut qui se sent désiré dans le regard de l'artiste et ce grand timide qui peut enfin dire à son prof toutes les blessures mais aussi le bonheur que ces anciens moments partagés lui ont procurés. J'ai trouvé que dans la seconde moitié, l'ensemble tournait un peu en rond mais peu importe, c'est un roman qui touchera sans doute les enseignants, surtout ceux qui, comme moi, peuvent à la fin de certaines années particulièrement intenses, ressentir un gros pincement au cœur. Ce n'est sans doute pas un hasard si après avoir lu ce roman, j'ai ressorti de vieux souvenirs musicaux qui m'ont fait rire autant qu'ils m'ont émue. 

Publié en janvier 2018. 250 pages. 

Merci à ceux qui à qui j'ai appartenu le temps d'une année, parfois plus (je crois que mon record est de quatre ans) et qui m'ont eux aussi un peu appartenu. 
A conseiller aux enseignants mais aussi tous ceux qui, d'un côté comme de l'autre de la barrière, ont un jour tissé un lien du même genre. 


22 commentaires:

  1. Ha ha, il m'arrive de retrouver d'anciens élèves, en fait eux me reconnaissent (moi j'ai oublié leur tête, forcément, et leur nom ^_^)

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Moi j'en croise souvent. L'un est devenu un collègue (et pour le taquiner, je lui ai rappelé le petit mot qu'il m'avait un jour glissé dans ma trousse), un autre s'occupe de ma voiture, je prends un pot l'une d'entre eux de temps en temps... Bref, difficile de ne pas les croiser. Je ne pense pas oublier leurs visages, mais leurs noms oui. Il n'y a que les inoubliables dont le nom reste gravé.

      Supprimer
  2. J'ai rencontré l'auteur à l'Armitière, il est extrêmement sympathique et il parlait bien de son livre. Je n'en ferai pas une priorité, mais pourquoi pas ..

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Ca ne m'étonne pas du tout qu'il soit sympathique, ça se sent dans ses livres les plus personnels.

      Supprimer
  3. Je ne suis pas prof, et n'ai jamais lié de lien de ce genre avec un ancien prof, et ça ne m'a pas empêché de beaucoup aimer ce roman et la relation qui lie les deux adultes (https://theautistreading.blogspot.com/2018/02/la-mise-a-nu-jean-philippe-blondel-buchet-chastel.html).
    Hors du contexte de l’enseignement, je pense que ce roman peut parler à un large public.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Tant mieux, j'avais que j'étais trop dans mon rôle de prof pour pouvoir le dépasser.

      Supprimer
  4. Il me donne envie de retrouver JP Blondel, dont les deux ou trois romans que j'ai lus ne m'avaient pas emballée outre mesure !

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Je ne sais pas si tu aimeras alors. Trois fois ratées, c'est quand-même beaucoup.

      Supprimer
  5. J'ai lu cinquante pages et j'ai abandonné. J'ai trouvé cela plat de chez plat, pas d'envergure, pas d'intérêt pour les deux personnages, avec une écriture qui ne m'accroche pas plus que cela, aucune émotion ne se dégage de ce roman. Bref la loose attitude totale !

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Je comprends, c'est la raison pour laquelle je me demandais si ce roman pouvait parler à d'autres lecteurs que des profs. Visiblement oui quand-même, mais pas à toi.

      Supprimer
  6. J'aime beau cet auteur alors forcément je lirai ce titre !

    RépondreSupprimer
  7. J'aime bien ta chronique même si elle est très orienté sur un seul aspect du livre...
    Dommage que tu n'aies pas un autre point commun avec Blondel...écrire un livre !
    Si je peux me permettre un conseil, pour sortir un peu de Blondel l'enseignant...essaye 6h48 (6h41 en vrai, mais il est en retard...et encoère y'avait pas grève...)

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. C'est plus un billet sur moi que sur le livre, finalement, non ?
      Je le note.

      Supprimer
    2. Non, mais c'est ton prisme bien personnel, comme d'ailleurs dans ma chronique où c'est un autre aspect qui m'a parlé...normal !

      Supprimer
    3. Oui, c'est aussi le pouvoir de la littérature, toutes ses lectures différentes selon les sensibilités.

      Supprimer
  8. Ce lien particulier pourrait me plaire, car il est vrai que le sujet de l'enseignement en général ne me passionne pas à lire.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Moi non plus. Surtout quand c'est Begaudeau qui s'y colle.

      Supprimer
  9. j'ai adoré ce roman, surtout ces temps de pose à part!

    RépondreSupprimer
  10. J'ai beaucoup aimé "Le groupe" de cet auteur, et j'ai envie de poursuivre avec celui-ci. Difficile de définir cette relation si particulière, à la fois éphémère et parfois tellement marquante pour le futur. Je ne suis pas enseignante, mais certains de mes professeurs ont réellement "changé ma vie";-)

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. C'est vrai, c'est une relation très particulière, ce lien fort dont on sait qu'il ne naît que pour mieux disparaître.
      Changé ma vie, sans doute pas, influencé sans aucun doute. Je ne serais sans doute pas prof d'anglais si je n'avais pas croisé ma prof de sixième et de cinquième. Mais je serais prof quand-même.

      Supprimer

Moi par (six) mois

En juillet, je publiais ici le résumé des six premiers mois de mon année. Il fallait bien une suite, la voici donc. Une suite, mais aussi ...