dimanche 23 avril 2017

Le pouvoir de la fiction, conférence d'Antoine Bello

Quand j'ai vu qu'il y avait une conférence d'Antoine Bello à la fac de Rouen, je n'ai pas été étonnée puisque j'avais remarqué que le programme des étudiants de lettres modernes Enquête sur la disparition d'Emilie Brunet et que je me suis dit qu'ils avaient bien de la chance d'étudier ce roman coup de cœur que j'aurais adoré décortiquER en cours après ma lecture. Etant un peu (c'est un euphémisme) fâchée avec l'auteur depuis, d'abord parce que j'avais eu l'impression à la lecture des Falsificateurs qu'il essayait de m'imposer sa vision libérale de l'économie et d'autre part, parce qu'il avait fini par m'agacer vraiment avec ses commentaires et messages privés laissés à diverses blogueuses (moi incluse), commentaires que je jugeais à la fois mielleux et condescendants et qui correspondaient étrangement à la sortie d'un nouveau roman (Les Producteurs pour beaucoup, Mateo pour moi). Bref, je n'étais pas acquise à sa cause mais je me suis dit qu'il serait tout de même dommage de ne pas lui donner une autre chance en allant l'écouter, d'autant que je savais que certaines copines auraient adoré pouvoir assister à cette rencontre. 
Deux heures de conférence, ce n'est pas la même chose qu'une heure dans une libraire ou une médiathèque. Je le dis avec tout le respect que j'ai pour les libraires et les bibliothécaires, dont certains sont taillés pour l'exercice et d'autres pas du tout (et croyez-moi, j'en ai vu un certain nombre à l'oeuvre ces derniers temps, dans tous les coins de France, voire même au delà). L'auteur n'est pas là pour vendre ici, même si l'idéal est bien sûr de donner envie d'ouvrir l'un de ses livres quand ce n'est pas déjà fait, but atteint puisque l'une de mes anciennes élèves qui se trouvait près de moi a été emballée et n'avait qu'une envie en sortant, lire Les Falsificateurs et que même moi, j'avais envie de le relire. 
Antoine Bello a d'abord mentionné l'importance de la lecture dans sa jeunesse et refuse de faire entrer les romans dans des catégories. Il pouvait dévorer un livre par jour; ses grandes influences sont Borgès, Poe et Hitchcock. Deux points centraux seront abordés pendant la conférence: le fonctionnement du cerveau et la frontière entre fiction et réalité. Pour lui, la réalité l'existe pas, elle n'est que l'interprétation du réel parmi d'autres scénarios possibles, l'homme passant son temps à inventer des histoires par rapport à sa perception subjective du réel, omettant des détails et en mettant d'autres en valeur, tout en les interprétant. Ces deux thèmes sont le fondement de son oeuvre, le trilogie des Falsificateurs étant centrée sur la façon dont on peut détourner le réel (mais aussi axée, comme Antoine Bello l'a précisé, sur jusqu'où est-on prêt à aller pour un employeur alors qu'on se pose des questions sur son but ultime et donc sur le sens de notre propre travail) et Emilie Brunet davantage axée sur ce qu'est capable de faire le cerveau pour réinventer le réel. Il a expliqué que le point de départ des Falsificateur fut le charnier de Timisoara en Tchécoslovaquie qui amena la chute du couple de Ceaucescu alors que les journalistes avaient été manipulés et que l'information n'était que partiellement correcte. 
Il a parlé de langue et de langage, expliquant que s'il écrivait en anglais, ses romans seraient totalement différents de ceux qu'ils écrit en français (et là, j'en profite pour saluer l'enseignante qui posait des questions très pertinentes). Il dit être toujours déçu à la fin de processus d'écriture car il a l'impression que le résultat final est plus pauvre que ce qu'il avait prévu, parce que la langue ne retranscrit que partiellement une idée. 
Il a évoqué internet et notamment, a fait une distinction que j'ai trouvée intéressante entre Facebook et wikipedia, Pour lui, Facebook est un outil de validation, c'est à dire qu'on y va pour valider nos opinions; lorsqu'on effectue un tri, c'est souvent pour enlever des gens n'ayant pas les mêmes valeurs que vous (un étudiant n'était pas d'accord, force me fut de m'interroger sur ma manière de procéder, j'ai effectivement enlevé des mes amis tous ceux qui mettent des commentaires racistes). Par contre, pour lui, wikipedia est un outil médiateur, c'est à dire que pour faire publier une remarque sur une fiche wikipedia, il faut trouver un milieu entre ceux qui sont pour quelqu'un et ceux qui sont contre (il a pris l'exemple de Bush). D'autre part, pour lui, tous les avis se valent, non pas moralement mais comme il l'a rappelé, chaque citoyen compte pour un vote, à nous de faire que certaines idées ne se propagent pas au plus haut de l'état (et c'est là que je vous avoue que je risque de trouver cette journée de dimanche terriblement longue). 
Vous l'aurez compris, c'était passionnant. Et ça me conforte dans l'idée qu'un écrivain ne se rend pas toujours service en entrant en communication avec ses lecteurs sur internet. Je comprends très bien l'envie de le faire et je suis devenue bien plus indulgente sur le sujet car je vois que c'est un exercice périlleux mais rares sont ceux qui s'en sortent grandis.
Le dernier roman d'Antoine Bello, Ada, est sorti en août 2016. Je rappelle qu'Enquête sur la disparition d'Emilie Brunet fut pour moi un vrai coup de cœur. 

24 commentaires:

  1. Je n'étais pas au courant de cette conférence, mais elle n'était peut-être pas ouverte à n'importe qui ? Je ne l'ai pas encore lu, j'hésite un peu, même si je sais que quelques blogueuses sont très fans.

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    1. Je l'ai découverte par hasard à la fac en tombant sur les affiches. On ne m'a pas demandé ma carte d'étudiant, et pourtant je dénotai nettement dans la maigre assistance. ;-)

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  2. Il faut vraiment que j'essaye de le lire.

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    1. Oui, il le faudrait. J'étais persuadée qu'il était très connu du grand public, puis j'ai regardé les ventes de ses livres et je me suis étonnée qu'il ne vende pas plus que ça. Comme quoi, parfois la blogosphère nous donne l'illusion que certains auteurs vendent plus qu'ils ne le font réellement. Et c'est dommage car ses romans sont impeccablement ficelés (du moins ceux que j'ai lus).

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  3. Oh la chance ! C'est un de mes auteurs chouchou depuis qu'il m'a sauvée d'une panne de lecture carabinée avec Eloge de la pièce manquante. J'avais été très enthousiaste par la suite avec Les Falsificateurs, en revanche, j'ai été très déçue de l'Enquête sur la disparition d'Emilie Brunet. Comme quoi.:-) Par la suite, je n'ai pas retrouvé le même engouement de départ qu'avec Eloge de la pièce manquante mais je continue à le suivre avec plaisir. Sa conférence devait vraiment être passionnante à écouter en live. Merci pour le compte-rendu, c'est déjà ça de pris.:-)

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    1. J'ai relu Enquête sur la disparation d'Emilie Brunet sitôt après l'avoir fini, pour résoudre le puzzle. Ce roman est exactement ce que j'aime, un superbe puzzle, un peu comme le fut Une fille, qui danse de Julian Barnes.

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  4. Extrêmement passionnant, en effet. Tu me donnes carrément envie de découvrir un de ses romans. Je plonge dans lequel? "Enquête sur la disparition d'Emilie Brunet".

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    1. Seulement si tu connaîs bien l'univers d'Agatha Christie. Tu prends moins de risques avec Les Falsificateurs peut-être. J'ai offert Emilie Brunet à des lectrices qui ont été déçues.

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    2. Merci du conseil... Je vais plutôt aller du côté des Falsificateurs!

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  5. J'adorerais entendre des auteurs dans ce cadre là. Deux heures, mazette !! Je garde un grand souvenir de mes études de lettres, et du recul qu'avaient les professeurs sur tout... Ce devait être passionnant, en effet !

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    1. Un régal! A me faire regretter d'être en anglais et pas en lettres. ;-)

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  6. Bien d'accord avec ça : 'un écrivain ne se rend pas toujours service en entrant en communication avec ses lecteurs sur internet. Je comprends très bien l'envie de le faire [...] mais rares sont ceux qui s'en sortent grandis.'

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    1. Malheureusement, il y a aussi le désir de se faire connaître un peu plus mais je pense qu'on ne vend pas plus en entrant en contact par ce biais. Les rencontres en librairie sont bien plus vendeuses. Evidemment, ce n'est que mon avis.

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  7. Aucune envie de le lire cet homme là, je sais que Galinette adore ses livres à défaut d'aimer l'homme enfin l'écrivain dans sa dimension d'homme public. Je ne suis pas d'accord sur FB, cela dépend comment tu l'utilises, de ton nombre d'amis et dans ce nombre des amis réels.

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    1. Mais je ne parle pas de facebook, ce n'est pas par ce biais que l'auteur m'a contactée. Ce sont les commentaires sous les billets ou les mails qui me gênent.
      Facebook, c'est un autre débat car ce n'est pas l'auteur qui te contacte par ce biais en général, c'est souvent l'inverse donc chacun est libre de suivre ou non un auteur.

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  8. j'ai lu tous ses romans (sauf mateo), tu comprends que je suis fan! oui, ses commentaires, plutôt inutiles , mais bon ,les auteurs doivent être fragiles?

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    1. Je ne pense pas que ce soit de la fragilité mais un désir tout à fait légitime de faire connaitre leurs œuvres.

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  9. C'est un auteur que je ne connais pas, et pourtant sa conférence aurait pu m'intéresser. J'aime ce qu'il exprime sur la réalité et la fiction. D'autant plus que lorsque j'évoque des souvenirs communs avec ma sœur, nous n'analysons pas la réalité de la même façon. Il existerait donc plusieurs réalités et dictions...

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    1. C'était passionnant comme thème et tu l'illustres très bien.

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  10. L'avantage d'habiter une grande ville universitaire ! J'aime cet auteur et Ada est un excellent roman qui pose beaucoup de questions.

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    1. En l'occurrence, j'habite à la campagne mais je me déplace.

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  11. Dommage, il ne passe pas dans mon université ! J'aurai adoré l'écouter. Pour l'instant, j'ai acheté ses oeuvres mais pas encore lues...

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  12. Une super conférence certainement, je croyais aussi qu'il était très connu, j'ai découvert Les falsificateurs à sa sortie et j'ai tout de suite adoré.

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