mardi 16 février 2016

Evangile pour un gueux d'Alexis Ragougneau

Sept mois que j'attends d'avoir un coup de coeur littéraire et le voici, mon petit bijou! Quand en 2014, j'avais lu La Madone de Notre-Dame du même auteur, je m'étais dit qu'il manquait un petit quelque chose mais que ce premier roman était prometteur. Après avoir tourné la dernière page d'Evangile pour un gueux, j'espère juste qu'il parviendra à renouveler l'exploit. Oubliez qu'il est dans la collection Chemins nocturnes, et donc associé pour beaucoup au polar. Oubliez parce que ce roman, c'est un roman noir, certes mais c'est tout simplement à la fois un bijou dans l'écriture et dans l'utilisation des symboles et des métaphores. Et peu importe que vous n'ayez pas lu La Madone de Notre-Dame, ça ne gâchera pas du tout votre plaisir. 

On retrouve le père Kern qui, dans le premier tome, officiait à Notre-Dame. Ce temps-là est révolu. Il n'est pas au mieux de sa forme, ni physiquement, ni moralement. Quand on repêche le cadavre de Mouss, SDF qui a investi Notre-Dame il y a peu, le juge Claire Kauffman l'oblige à sortir de sa tanière. 

Il est toujours difficile de rendre hommage à un roman qu'on sent parfait. Car pour moi, il n'y a pas une fausse note ici.  Alexis Ragougneau revisite Victor Hugo à sa manière, parce qu'il y a du Victor Hugo moderne dans la description de sa galerie de personnages peuplée de ceux que la vie a maltraités :
Il voyait les grosses larmes perler sur les pommettes de Kristof puis disparaître dans sa barbe épaisse parfumée à la bière Leader Price. Les gouttelettes, curieusement, ressortaient au niveau du menton après s'être frayé un chemin dans la forêt de poils roux et blonds, au bout duquel elles restaient un instant suspendues. 

L'autre grand thème de ce roman, c'est le jeu sur les robes noires : la soutane contre la robe d'avocat, la justice divine contre celles des hommes, la critique de la soutane capable de regarder des enfants s'en prendre à un autre sans lever le petit doigt, l'impuissance de la robe d'avocat.  Et ce thème est traité avec brio jusqu'à l'excellente chute, ou plutôt aux excellentes chutes. L'auteur ne se contente pas de revisiter Victor Hugo, il revisite la période de Pâques avec tout autant de talent. L'écriture est finement ciselée, ce n'est pas un roman qu'on engloutit, on le déguste, phrase après phrase. Et cerise sur le gâteau, on peut s'attacher au père Kern ou à Claire Kauffman qui a quelques points communs avec moi, dont celui de boire du chocolat chaud le matin, "comme une fillette". Et parfois, il nous arrive de sourire. Alors une fois ou deux, je me suis dit: "Ben tiens, voyons" comme dans "Ben tiens, voyons, Claire est une femme forte, elle résiste aux avances du jeune policier, donc bien sûr, elle est lesbienne". Mais finalement, comme Alexis Ragougneau n'en fait pas une caricature de lesbienne, pourquoi pas? Alexis Ragougneau utilise les doubles pour mieux les opposer et c'est un jeu qui chez lui, varie à l'infini: la lesbienne qui combat la testostérone à tout prix et celle qui n'a pas besoin de ce combat-là, la soutane des extrémistes et le petit prêtre qui n'a pas besoin de sortir "déguisé", le frère blond et le frère brun, le révolté et le soit-disant sage, Judas et Saint Simon.

Je m'emballe mais je vous assure que ce roman est un très grand roman. Pour moi, il est de la trempe des meilleurs Indridason, un peu un pendant français à Etranges Rivages, mon préféré de cet auteur islandais, non dans le thème mais dans le style. Et deuxième cerise sur le gâteau (c'est un roman avec beaucoup de cerises), la résolution de l'intrigue est du grand art et n'est en rien annexe au propos qui n'est pas novateur, ça je vous l'accorde mais l'intérêt de ce roman est ailleurs.

  1. Parution : 14/01/2016
  2. Collection Chemins Nocturnes
  3.  367 p.

Merci à Babelio pour  l'opération Masse Critique et aux éditions Viviane Hamy. Et puis surtout, merci à Alexis Ragougneau pour ce coup de coeur que je désespérais de trouver. 
A conseiller à tous, même (et peut-être surtout) à toi Jérôme. A déconseiller à ceux qui ne supportent ni la critique des soutanes, ni l'abondance de références religieuses (mais nul besoin d'être spécialiste en christianisme). 



                                                                    

18 commentaires:

  1. Bonjour,
    Voilà qui semble vraiment prometteur ! J'aime bien l'idée d'un polar à Notre dame ... Comme je ne connais pas du tout, je note le premier titre de cet auteur. Merci du conseil !

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    1. Tu peux noter le premier mais note tout de même le second, à mon avis plusieurs crans au dessus.

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  2. Je lisais justement hier une chronique sur ce roman, pensant que c'était la suite du précédent. Décidément Viviane Hamy nous trouve de belles plumes, originales, en polar en particulier. Je pense que je lirai celui-là, j'aime assez les histoires où l'Église s'en mêle (s'emmêle)...

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  3. Voilà qui est fort allécheant ; je note tout de suite :-)

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  4. Tu n'avais même pas besoin de me le conseiller, je savais à la moitié de ton billet que j'allais forcément le lire. Je viens de le commander ;)

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    1. Merci de ta confiance, Jérôme. C'est toujours un petit stress, j'espère qu'il te plaira. Mais je ne pense pas que tu seras insensible à cette plume.

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  5. Bonjour Valérie, je le note (tu n'es pas la première à dire du bien). Et j'avais aussi beaucoup aimé La madone de Notre-Dame. Un écrivain qui transforme son essai semble t-il. Bonne journée.

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    1. Oui, l'essai est bel et bien transformé et c'est un régal pour le lecteur quand ça se produit.

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  6. Je l'avais repéré, et puis si tu le compares à Indridason, alors là je fonce.

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    1. Ah oui, fonce. Ce serait une excellente idée qu'il soit dans le Prix Elle cette année.

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  7. C'est la collection dans laquelle est publiée Fred Vargas que j'aime beaucoup aussi. Je note ce roman " parfait" ! Effectivement, les thèmes m'intéressent... Et en plus, je vois que tu parles d'un précédent roman... Tout est noté !

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    1. Dans laquelle était publiée Vargas (c'est vrai que Flammarion a tellement bien copié les couvertures de Viviane Hamy qu'on peut oublier que le dernier ne fut pas publié chez sa précédente éditrice).

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  8. Bon, écoute, ce pas forcément le roman vers lequel je me précipiterais d'emblée mais tes coups de coeur sont si rares que je le note.

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  9. Je lis peu de polars, mais ce titre-ci, peut-être, tu le défends de façon si persuasive !

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    1. Oublie que c'est un polar, vraiment c'est tellement plus que ça.

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